Le septième ciel de la gravure

Quelque 300 œuvres réalisées par 52 artistes provenant de 26 pays sont réparties entre quatre lieux d’exposition. De plus, sous le titre de Nom de code_7, des œuvres de grand format inspirées de l’iconographie de la bande dessinée (impressions numériques) produites par sept artistes et affichées sur des modules dressés à l’extérieur du Centre d’exposition Raymond-Lasnier (Hôtel de Ville) constituent des invitations aguicheuses à faire un tour au 7e ciel, quoique celui de la Biennale ne soit pas forcément bleu. Tant mieux !
En quoi la 7e Biennale internationale d’estampe contemporaine se distingue-t-elle des précédentes éditions ? À cette question, Jo Ann Lanneville, directrice artistique de l’événement, répond : « Si l’on veut bien admettre que jusqu’ici les œuvres exposées se présentaient comme des propositions, je dirais que cette année, elles se définiraient plutôt comme des réflexions. » Après un moment de silence, elle ajoute : « Oui, des réflexions sur le monde, sur le cours des événements qui surgissent sur la planète… » La couleur de cette biennale est donc résolument politique. « Pas seulement politique, reprend la directrice artistique, elle est également sociale, économique et, bien sûr, esthétique. Sur ce dernier point, je puis dire que c’est davantage l’originalité du contenu qui devrait attirer l’attention plutôt que la virtuosité technique, encore que cette virtuosité soit presque toujours inséparable de l’œuvre elle-même et que, dans la plupart des cas, elle soit absolument remarquable. »

Un coup d’œil sur les quelque 300 estampes qui composent la 7e BIEC suffit pour déceler que la tonalité générale est plutôt noire. Le noir constitue certes la couleur dominante, mais elle se positionne, en outre, au service d’un propos noir, lui aussi. Jo Ann Lanneville reconnaît volontiers que l’ensemble de la sélection, cette année, ne tire pas son attrait de vertus de séduction. La Biennale dispose d’autres atouts, sans doute plus forts, non pour séduire, mais pour convaincre un public à la recherche d’idées et de découvertes décoiffantes.
Pour prévenir tout risque de malentendu, la directrice artistique déclare que les estampes exposées ne sont pas porteuses de messages. L’engagement des artistes aujourd’hui ne se manifeste pas par une affiliation ou par une inféodation idéologique. C’est l’artiste lui-même qui se poste à l’avant-plan avec sa sensibilité, son style, ses méthodes, son langage, son ingéniosité. Son engagement est donc beaucoup plus subtil. Il fait le pari que les spectateurs retrouveront un peu de leur propre sensibilité dans les formes surprenantes et les images-chocs qu’il étale sous leurs yeux. Quitte à les ébranler ou à les déstabiliser.
« Je pourrais parler de provocation de la part de certains artistes », convient Jo Ann Lanneville. Elle reconnaît que les cinq membres du jury qui ont eu à choisir les estampes pour la 7e Biennale, bien que provenant d’horizons différents, n’ont pas caché leur inclination pour des œuvres à « forte intensité émotive ». Il est parfois délicat d’exposer dans des espaces publics des œuvres qui détaillent des scènes de guerre ou de torture, ou encore des situations d’insidieuses oppressions. « Mais ne pas présenter de telles productions, dont la valeur créatrice est de l’avis unanime des membres du jury absolument indéniable, reviendrait à exercer une censure ; ce serait dès lors, trahir l’un des objectifs de la Biennale, soit la liberté accordée aux artistes de dire ce qu’ils ont à dire selon leur tempérament propre, qui demeure le garant de ce qui est inattendu et innovateur », juge Jo Ann Lanneville. « D’ailleurs, ajoute-t-elle, pour lever toute équivoque, nous demandons aux artistes d’envoyer cinq à sept œuvres et de les accompagner d’un texte explicatif de leur démarche. » Elle rappelle ici l’un des principes de la Biennale : exposer un groupe d’œuvres de chaque artiste. « Il s’agit, en effet, de provoquer une rencontre avec des mondes artistiques », signale-t-elle.
Les mondes artistiques des 52 artistes provenant de 26 pays se côtoient autour de huit thèmes qui recoupent des enjeux sociopolitiques (identité culturelle, domination, exploitation, environnement, etc.) et les manifestations de préoccupations individuelles universelles (vie quotidienne, rapports avec la famille, l’entourage, etc.). À titre d’exemple, la tonalité noire qui domine la Biennale s’exprime avec un raffinement qui masque presque la cruauté des propos des artistes, notamment chez Joscelyn Gardner, Benoît Perreault (Canada), Saskia Jetten (Pays-Bas) et Killian Dunne (Irlande). L’humour grinçant dont ils font preuve répond bien à l’objectif ambitieux qu’affichent la 7e Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières et sa directrice artistique : « Penser le monde pour mieux le comprendre et le transformer ».