L’équité dans les arts visuels : un modèle à repenser
L’année 2020 aura été une année charnière pour la question de la diversité, dont quelques artistes ont été récompensés par plusieurs instances : Adam Basanta, Moridja Kitenge Banza, Manuel Mathieu, Caroline Monnet figurent parmi les nominés québécois au prix Sobey pour les arts ; Abbas Akhavan est finaliste et Chih-Chien Wang lauréat duprix Louis-Comtois. Ces victoires, ces « tu vois ! » me préoccupent. Sont-ils le produit d’une mouvance singulière née d’un commun accord à longue portée ou découlent-ils simplement du zeitgeist du moment ou de l’esprit du temps, à la suite des vagues des mouvements Black Lives Matter et Standing Rock ? Les drapeaux sont-ils en berne en attendant que les choses reprennent leurs dérives ?
On peut ensemble s’interroger sur la question de la diversité au sein des jurys et sur les limites de l’évaluation par les pairs dans le milieu des arts. Dans la table ronde sur l’art, l’inclusion et les médias, diffusée en mars 2020 sur radio atelier, les participants Mojeanne Behzadi, Kama La Mackerel et Nicholas Dawson discutent de la qualité des opportunités accordées aux artistes issus de la diversité ainsi que du risque de se commettre par une position politique, artistique et même intime au travers de son récit personnel en tant qu’être racisé. La lettre ouverte aux centres d’artistes autogérés du Québec, publiée par articule en juin 2020, invoque la solidarité contre la discrimination systémique au-delà de la simple déclaration, et énonce qu’il est nécessaire d’adopter une attitude anti-raciste afin d’accroître le foisonnement des voix issues de la diversité. « Ce travail se fait à tous les niveaux : dans les comités RH, les décisions de programmation, la distribution financière, la rédaction des politiques, la formation du personnel, ainsi que l’éducation et la responsabilisation des individu-e-s », peut-on lire. C’est une communauté qui mérite une plus grande place et plus de soutien, autant localement qu’à l’étranger, afin de participer activement au rayonnement québécois.
Ce travail de décloisonnement des systèmes de pouvoirs inéquitables vis-à-vis la diversité est en chantier depuis fort longtemps, et doit aussi prendre en compte les systèmes décisionnels.
Au Conseil des arts et des lettres du Québec, on confirme que l’ensemble des bourses a été analysé par un jury composé en général de moins d’un cinquième de membres issus de la diversité (18 %). Du côté des centres d’artistes, certains énoncent la difficulté de diversifier activement leurs comités et mettent plusieurs efforts de l’avant. Ces actions s’effectuent sur le temps et en continu, mais ne donnent pas toujours les résultats escomptés dans l’immédiat, selon Emmanuelle Choquette, directrice générale d’Arprim, dont le centre consulte COCo et Diversité Artistique Montréal depuis le printemps 2020. Du côté d’articule, on mentionne que l’équipe a défini des activités et des initiatives sans fin qui visent un apprentissage organisationnel. Le projet a été entamé dès 2011, menant à une succession de changements afin de rendre le centre plus inclusif. Faisant suite à son intervention à radio atelier au printemps dernier, Mojeanne Behzadi, d’Art Speaks, mentionne que malgré l’essor des mouvements antiracistes revigorés à l’été 2020, nous n’assistons pas encore à un changement structurel vis-à-vis les multiples revendications d’inclusions. Conscient des inégalités persistant dans la communauté artistique, le groupe de recherches ethnoculturelles en histoire de l’art (EAHR Concordia), dirigé par Alice Ming Wai Jim, ajoute à cela l’impact de la COVID-19 : en réponse, il propose un projet numérique intitulé HEAR US NOW! afin d’offrir une plateforme aux artistes et commissaires issus de minorités visibles sous-représentées dans les institutions.
Au Conseil des arts du Manitoba, on profite de l’occasion du virage au numérique pour faire appel à des évaluateurs situés à l’extérieur du Manitoba. Le Conseil a regroupé une équipe entièrement composée de personnes issues de la diversité pour évaluer un programme qui n’est pas nécessairement consacré exclusivement aux minorités visibles. Un virage au numérique du jugement des pairs permet, au-delà des quotas imposés, moins de redondance dans le bassin des jurés et ouvrirait la porte à plus d’opportunités de participation pour les personnes de la diversité. Ce modèle pourrait aussi être appliqué à la programmation des centres d’artistes et aux bourses de création au Québec.
Au-delà des malaises, on se contente parfois de pointer furtivement des noms pour prouver « l’équité », puis on renchérit avec des « tu vois ! ». J’acquiesce toujours d’un sourire en coin en assistant à cette valse empreinte d’insécurités mutuelles que l’on projette ensuite vers notre interlocuteur pour l’occulter – telle une blessure qu’on n’ose regarder, de peur d’apercevoir l’ampleur de la plaie. Ce travail de décloisonnement des systèmes de pouvoirs inéquitables vis-à-vis la diversité est en chantier depuis fort longtemps, et doit aussi prendre en compte les systèmes décisionnels. En mon sens, la force du milieu des arts québécois résidera dans son aspect communautaire, au-delà du simple mercantilisme identitaire – auquel j’ose ajouter cette envolée lyrique – que prônent les scions du marché de l’art.