La Galerie de Bellefeuille est de loin la plus importante galerie de Montréal, du Québec et sans doute du Canada. Elle compte une quinzaine d’employés. Les expositions se succèdent au rythme de deux par mois. Un contingent d’une cinquantaine d’artistes sont représentés par cette galerie.

Dès neuf heures du matin, Jacques Bellefeuille s’installe à son bureau et orchestre les activités de la journée. Il ne demeure pas longtemps assis. Il se lève pour recevoir les premiers visiteurs. « Il est important, me dit-il, de bien accueillir les gens pour éviter qu’ils se sentent intimidés ou perdus. Peu importe qu’il s’agisse de simples curieux ou de grands collectionneurs. » Il explique : « La plupart des œuvres d’art exigent un minimum de présentation : le nom de l’artiste, le style de la pièce, son année d’exécution … » Par la suite, selon l’intérêt que manifeste le visiteur, il est possible de s’enquérir de ses goûts, de ce qu’il cherche… Peu à peu, mais toujours avec doigté, peut commencer à se nouer une relation conviviale.

Aujourd’hui, au rythme où se développent les activités, la Galerie, en dépit de ses agrandissements successifs (certains remontent à un peu plus de deux ans), a peine à contenir les tableaux et les sculptures qui, du sous-sol au premier étage, occupent momentanément les espaces avant d’être expédiés chez leurs bienheureux acquéreurs.

Permettre à l’artiste de vivre de son art

L’indéniable succès de la Galerie de Bellefeuille n’a pas surgi d’un coup de baguette magique. Il provient de trente ans de travail jalonnés d’essais, d’erreurs, de bonnes intuitions, de beaucoup de patience. Il tire sa source d’un sens de l’organisation et de la gestion qui est l’un des points forts d’Helen Bellefeuille. « Sans elle, reconnaît son mari, la Galerie n’aurait jamais atteint le niveau actuel. » Il enchaîne : « Nous avons les mêmes goûts, mais elle est plus rationnelle que moi. Elle garde la tête froide et avant d’enrôler un artiste au sein du groupe que nous représentons, elle examine scrupuleusement la facture de ses œuvres ; elle jauge son potentiel. » Mais, dès que la décision est prise, l’équipe déploie tout l’arsenal des moyens disponibles pour faire connaître la nouvelle recrue, même s’il s’agit d’un artiste en début de carrière. Helen Bellefeuille cite volontiers comme exemple Paul Fenniak, jeune peintre dont, au début des années 1990, elle a repéré l’extraordinaire potentiel. « C’est à nous, galeristes, de transmettre notre passion pour les créations que nous choisissons à notre clientèle. »

« On voit émerger aujourd’hui un public sensible à toutes les formes d’art. »

« Et puis, reprend Jacques Bellefeuille, quand le public acquiert les œuvres d’un artiste, eh bien, l’artiste parvient à vivre de son art. Que les artistes réussissent à vivre de leur art, c’est aussi un des buts de notre galerie. » Un objectif semblable paraît souvent utopique pour qui connaît un peu le marché de l’art contemporain au Québec et au Canada. Pourtant, la plupart des artistes défendus par la Galerie de Bellefeuille sont à peu près autonomes : Paul Béliveau, Jacques Payette, Peter Krausz…

Jeune dermatologue, en 1978, Jacques Bellefeuille passe souvent devant la boutique de matériel d’artiste que tient Helen. De modestes œuvres d’art rehaussent la vitrine. Il fait l’acquisition de quelques-unes d’entre elles. Il devient un bon client. Il déclare aujourd’hui : « J’ai été séduit non seulement par les œuvres d’art, mais par leur propriétaire. » Il l’a épousée.

Jim Dine, Full Moon on Cottonwood, 2011, A crylique, fusain et sable sur toile, 76,2 x 60,96 cm, SODRAC

Trois générations de collectionneurs

Dans la première galerie que le couple a ouverte, en 1981, on vendait des tableaux de Cosgrove, Masson, Surrey, Krieghoff, Coburn. « Nous avons enchaîné avec Borduas, Riopelle, McEwen. » Et puis, au début des années 1990, entrent des œuvres d’artistes étrangers : Lynn Chadwick, Arman, Jim Dine. En 1994, la Galerie s’installe dans ses locaux actuels. Ses propriétaires décident alors de miser résolument sur des artistes contemporains : Tom Hopkins, Peter Krausz, Kevin Sonmore, David Bierk, Jacques Payette, Susan Scott… De plus, il s’agissait d’artistes à mi-carrière dont certains provenaient du milieu universitaire, relativement bien établis et reconnus grâce à des expositions dans des centres d’artistes et des musées. Les bons résultats obtenus sur le marché local ont incité les Bellefeuille à sonder le marché de Toronto, puis celui de New York. « Nous avons notamment procédé à des échanges d’artistes, souligne Jacques Bellefeuille. C’est ainsi que nous avons accueilli, par exemple, l’Américain Clive Smith, ainsi que des représentantes de l’école britan­nique : Nicola Hicks, Sophie Ryder. »

Au fil des années, la Galerie de Bellefeuille a répondu aux désirs de deux générations de clientèle. Aujourd’hui, elle sert la troisième géné­ration. Plus cultivés, ses représentants – ils sont dans la trentaine – voyagent souvent à l’étranger et ont pris goût pour l’art produit par des artistes dont le rayonnement est mondial : Jim Dine, Damien Hirst, Stephan Balkenhol, Candida Höffer, Massimo Vitali. Pour aller au devant de cette demande, le couple Bellefeuille a fait preuve d’audace en négociant la mise en consignation ou l’achat d’œuvres de Damien Hirst ou de Chuck Close, dont les expositions dans la Galerie constituent des événements retentissants à l’échelle du Canada et de l’Amé­rique du Nord.

La Galerie fait école

Les Bellefeuille considèrent avoir fait œuvre de pionniers en ouvrant leur galerie à « l’art international ». Ils entendent par là l’art produit par les figures dominantes du marché mondial. À cet égard, les galeristes affichent fièrement leur sens de la diversité. Il s’harmonise aux goûts de plus en plus ouverts d’un public qui s’intéresse aussi bien aux grands maîtres de l’histoire de l’art qu’aux artistes actuels les plus audacieux. Dans tous les cas, les expositions s’accompagnent d’un catalogue composé d’un court texte de présentation de l’artiste et de ses œuvres, ainsi que de nombreuses reproductions. Peu de galeries s’astreignent à un tel effort de documentation et de mémoire.

Et maintenant, entouré de ses quinze assistants, Jacques Bellefeuille envisage peut-être d’agrandir encore son entreprise. Il constate que la formation dans le domaine de la vente d’œuvres d’art est quasi inexistante. En attendant que les choses s’améliorent, Helen et Jacques Bellefeuille se chargent eux-mêmes de former le personnel qu’ils engagent. Le marchand d’art doit posséder beaucoup de qualités : doté de solides connaissances, il doit savoir les transmettre avec finesse ; il doit être réceptif au goût des clients pour pouvoir les orienter vers des œuvres qu’ils apprécieront ou qui s’harmoni­seront avec celles de leur collection. La galerie est certes une bonne école de formation. Elle a compté dans ses rangs Mark Lanctôt, aujourd’hui conservateur au Musée d’art contemporain de Montréal, Martin Labrie, commissaire d’expo­sition au talent exceptionnel. Certains des assistants ont été engagés par des galeries concurrentes. Jacques Bellefeuille ne s’en offusque pas. Bon prince, il déclare : « S’ils peuvent soutenir de nouveaux artistes et s’ils peuvent ouvrir de nouveaux marchés, tant mieux ! » 

LISTE DES ARTISTES REPRÉSENTÉS PAR LA GALERIE DE BELLEFEUILLE

Victoria Adams, Danielle April, Arman, Steven Assael, Donald Baechler, John Barkley, Hanneke Beaumont, Paul Béliveau, Tyler Benedict, David Bierk, Carmelo Blandino, Bobbie Burgers, Simon Casson, Lynn Chadwick, Yehouda Chaki, Dale Chihuly, Victor Cicansky, Chuck Close, Darlene Cole, Franco De Francesca, Jason De Graaf, Jim Dine, Shaun Downey, David Drebin, Jean Dubuffet, Joan Elliott, Joe Fafard, Paul Fenniak, David Fertig, Barry Flanagan, Stephen Fox, Judy Garfin, Dominique Gaucher, Gerard Gauci, Michael Harrington, Sean Henry, Nicola Hicks, Damien Hirst, Wade Hoefer, Candida Hofer, Tom Hopkins, Jennifer Hornyak, Stephen Ibbott, Robert Indiana, Fabian Jean, Joshua Jensen-Nagle, Wolf Kahn, Alex Katz, Wolfgang Kessler, Peter Krausz, James Lahey, Guy Laliberté, Norman Laliberté, Mark Lang, Marie Lannoo, Sylvain Louis-Seize, John Macdonald, Nathalie Maranda, Robert Marchessault, Alexandre Masino, Brent McIntosh, Tim Merrett, Steven Nederveen, Val Nelson, Julian Opie, Jacques Payette, Andrew Pink, Jean-François Provost, Joan Pujol, Malcolm Rains, Andrew Rucklidge, Sophie Ryder, Lucas Samaras, Tony Scherman, Harald Schmitz-Schmelzer, Jonathan Seliger, Donna Shvil, Robert Silvers, Hunt Slonem, Kevin Sonmor, Francine Van Hove, Massimo Vitali, Wolfgang Volz, Jason Walker, John Webster, Gordon Young, Russell Young.