Appelé à se « réinventer » sans cesse depuis la dernière année en raison de la pandémie qui sévit, le domaine culturel a fait preuve d’une résilience qui mérite d’être soulignée. Parmi les divers réseaux de création et de diffusion, on retrouve celui des centres d’artistes autogérés qui est à l’écoute de son milieu depuis plus d’une cinquantaine d’années. Des expositions déplacées en vitrine et des résidences remaniées, aux espaces de rencontre numériques, les centres d’artistes ont su s’adapter afin de poursuivre leur mission de soutien à la création.

Depuis les années 1970, les centres d’artistes sont des lieux de production et de diffusion essentiels pour l’art actuel au Québec et au Canada. Principalement gérés par des artistes et des travailleurs culturels, ces organismes possèdent un regard privilégié sur les besoins de la communauté artistique, particulièrement en ces temps troubles. Malgré l’imprévisibilité du contexte actuel, de nombreuses initiatives ont été mises sur pied afin de permettre aux artistes de continuer de créer. Selon Emmanuelle Choquette et Marie-Pier Bocquet d’Arprim, centre d’essai en art imprimé, « il s’agit de trouver des façons de s’adapter au contexte, en cessant de se battre contre lui et en cherchant plutôt à mettre en lumière le travail et la pratique, dans leurs hauts et leurs bas ».

DES FENÊTRES SUR L’ART

À la suite des (nombreuses) fermetures des lieux non essentiels, la vitrine est naturellement devenue un espace de diffusion pour certains organismes qui possédaient déjà cette installation, comme à Engramme, un centre de production en estampe et de diffusion en art actuel situé à Québec. « Habituellement, notre galerie est accessible au public, mais cette année, en plus de la COVID-19, il y a des travaux dans la bâtisse de Méduse. Nous avons toutefois encore la possibilité de l’exploiter comme vitrine », raconte la directrice générale, Anne-Sophie Ohmer. Après une résidence à l’automne dernier, l’artiste Ilana Pichon a pu y présenter l’œuvre Défriche. Déchiffre. (2020), constituée de neuf sculptures suspendues qui portent sur l’entremêlement du flux routier et des friches de la ville. À articule, à Montréal, on a pris la décision de déplacer systématiquement toutes les expositions de 2021 dans la vitrine et sur le Web. Les artistes qui étaient initialement invités à présenter leur travail en salle ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation, souligne la coordonnatrice à la programmation, Amber Berson, en ajustant leur contenu à cet espace contigu de la rue Fairmount. En janvier et février, le collectif tīná gúyáńí (Deer Road) a ainsi superposé à la vitrine, repeinte en orange pour l’occasion, des codes QR avec l’exposition k’ō-dī īyínáts’īdìsh (new agency) (2021). Ceux-ci permettaient d’accéder à du contenu augmenté, composé d’extraits de textes, d’œuvres vidéo et de photos ayant pour sujet les effets environnementaux et psychologiques du périphérique sud-ouest de Calgary.

Pour les organismes qui privilégiaient déjà ce dispositif, on comprend qu’il a pris tout son sens dans ce contexte exceptionnel. C’est le cas notamment du centre de création numérique TOPO, qui occupe depuis 2014 une vitrine pour présenter des installations médiatiques au rez-de-chaussée du Pôle de Gaspé, à Montréal, ou encore de L’imprimerie qui, avec sa vitrine donnant sur la rue Sainte-Catherine Est, offre un espace d’exploration pour ses membres sous la forme de résidence.

Ces quelques initiatives mises sur pied par des centres d’artistes au Québec et dans les Maritimes lors de la dernière année ne dressent qu’un bref portrait d’un regroupement innovant et résilient, qui se voit fragilisé par la pandémie et le sous-financement étatique.

LA RÉSIDENCE COMME RÉPONSE À L’IMPRÉVISIBLE

Contrairement aux centres de diffusion, les centres de production ont pu poursuivre presque sans interruption, depuis le début de la pandémie, leurs activités de résidence et de formation. À Est-Nord-Est, qui soutient les artistes par le biais de séjours de recherche et production à Saint-Jean-Port-Joli, certaines résidences ont pu avoir lieu dès l’été 2020 à condition de réduire leur capacité d’accueil. Au lieu de recevoir quatre artistes et un auteur par saison, provenant autant du Québec que de l’étranger, seulement deux artistes ont pu profiter de cette opportunité. « L’essence des résidences [qui misent sur les échanges et les rencontres] se voit changée, souligne la directrice générale, Dominique Boileau, mais les artistes sont reconnaissants d’avoir un lieu où créer en ce moment. » À la Galerie Sans Nom à Moncton, qui a dû annuler la majorité de son programme en 2020, la résidence s’est manifestée comme une évidence pour soutenir ses membres et les artistes néo-brunswickois. L’initiative Boîte Blanche, qui a permis à sept artistes d’investir la galerie pour de courts séjours de création à l’automne dernier, va d’ailleurs perdurer dans le futur tant les impacts au sein de la communauté ont été positifs. Situé aux Îles-de-la-Madeleine, le centre en art actuel AdMare a plutôt privilégié les événements extérieurs et le format de la publication afin de poursuivre ses activités autour des résidences d’artistes. Le virtuel a volontairement été mis de côté dans ce cas-ci pour miser sur l’aspect intime et tangible de ces espaces de rencontre.

Aujourd’hui plus que jamais, la résidence se présente comme l’outil idéal de soutien à la création et pas que dans les centres d’artistes autogérés. Par sa nature mobile et évolutive, cette plateforme s’adapte à la création contemporaine qui, surtout en temps de pandémie, ne cadre plus nécessairement dans des contextes de production et de diffusion traditionnels.

Mathieu Fecteau, Tric-O-Vent (2020)
Installation in situ
Courtoisie d’AdMare

SE RENCONTRER AILLEURS

La vitalité des centres d’artistes réside particulièrement dans leur communauté de membres qui regroupe des artistes et des travailleurs culturels prêts à soutenir bénévolement le mandat de l’organisme, que ce soit en s’impliquant dans des comités, en assistant aux événements, etc. Avec le contexte actuel, où les rassemblements sont interdits, garder une communauté mobilisée représente tout un défi que plusieurs centres ont su relever.

À Arprim, qui se consacre à la diffusion de l’artimprimé, l’idée est venue d’organiser un cercle de lecture à la suite d’une discussion avec des membres qui rêvaient de tenir ce type d’activité dans leur maison ou leur atelier. Même si la tenue de séances virtuelles a été privilégiée, des discussions inusitées ont eu lieu autour du livre. « L’activité a été un succès et nous aimerions certainement la répéter. Ça nous a permis aussi de rester en contact avec nos membres, et même d’en recruter de nouveaux », racontent Emmanuelle Choquette et Marie-Pier Bocquet. Les clubs de lecture organisés par Verticale depuis plusieurs étés, qui ont habituellement lieu au bord de la rivière des Prairies à Laval, ont eux aussi dû se tenir en virtuel. Réunissant des artistes, auteurs, penseurs et membres du centre, les discussions informelles au format virtuel ont toutefois permis à un plus grand nombre de personnes d’y assister ; les déplacements n’étaient plus un enjeu. Dans la dernière année, la tenue d’événements sur le Web s’est présentée telle une solution accessible et évidente pour plusieurs centres, notamment La Centrale qui a organisé des discussions en ligne avec les artistes comme complément aux expositions, ou encore Dazibao qui a proposé des projections d’œuvres vidéo en direct de sa page Facebook avec la série Session. Est-ce une avenue qui va perdurer au-delà de la crise sanitaire ?

Ces quelques initiatives mises sur pied par des centres d’artistes au Québec et dans les Maritimes lors de la dernière année ne dressent qu’un bref portrait d’un regroupement innovant et résilient, qui se voit fragilisé par la pandémie et le sous-financement étatique. Levons notre chapeau à ce réseau, et à ses travailleuses et travailleurs, qui permettent à l’art actuel de vivre, aux artistes de créer, et à la communauté artistique de s’épauler, contre vents et marées.