Ayant adopté pour son programme d’expositions contemporaines à Versailles une politique d’alternance — une année un artiste français, l’année suivante un artiste étranger —, le président de l’établissement public du château, Jean-Jacques Aillagon, a invité cette fois son compatriote Bernar Venet. Le sculpteur, paradoxalement plus connu ailleurs en Europe, en Asie et aux États-Unis, reçoit ici un traitement de rêve.

Nous sommes loin de ces formes monumentales qui, photographiées comme on pouvait les voir géné­ralement dans l’univers clos d’une galerie ou d’une demeure, semblaient prisonnières ! En effet, à chaque pas que fait le promeneur de Venet à Versailles, son œil cerne un nouveau pan du lieu royal que l’artiste lui offre de revisiter.

La statue équestre de Louis XIV, par exemple, aperçue jusqu’alors derrière les grilles de la cour d’honneur, et depuis l’été découverte de face dès les allées d’approche du château, voit son effet décuplé maintenant que l’encadrent les grandes boucles d’acier de Venet, si dépouillées dans leur abstraction qu’elles semblent surgir de la nature, c’est-à-dire du sol sur lequel elles reposent et à partir duquel elles embrassent souverainement l’espace. Dans sa sécheresse mathématique, le calcul sur lequel elles s’appuient est ici au service de l’expression, ou plutôt du frémissement souterrain premier que doit transmettre toute œuvre. Il s’agit là d’une heureuse initiative, où un puissant symbole de la royauté et la représentation d’un art on ne peut plus actuel se mettent réciproquement en valeur.

Ainsi commence, avec cet Arc x 16, l’exposition de Venet, qui fait suite à la venue de Murakami, un bon peintre avant de devenir « gadgetiste », dont l’exposition ne restera pas longtemps en mémoire. Pas plus que l’honnête tentative de Xavier Veilhan de donner forme à ce que lui suggérait l’esprit des lieux. Avec seul pendant, peut-être, celle de Jeff Koons, artiste imbu de sa propre démarche baroque, qui flirte avec le kitsch effervescent comme Venet flirte avec la netteté minimaliste.

Curieusement, au-delà des protestations habituelles – d’ailleurs excellentes sources de publicité – qu’entraîne le programme, l’œuvre la plus « classique », et qui plus est française, a déclenché un tollé concrétisé par une poursuite légale. Allez-y comprendre quelque chose ! En effet, l’Association des Riverains de l’avenue de Paris, laquelle débouche sur le château, a déposé un recours pour faire démonter Arc x 16 sous prétexte que le contemporain n’y est pas à sa place. Ses membres ignorent sans doute que, en monarque nullement timoré, c’est à des artistes vivants que Louis XIV confia le soin d’illustrer son règne.

« Durant l’âge d’or de Versailles, on aurait appelé ces montages des caprices. Caprice, c’est-à-dire fantaisie à laquelle les créateurs d’alors se livraient volontiers », de souligner Venet en parlant de ses sculptures. Désormais, « s’intégrer dans ce vaste espace sans s’y perdre » allait être l’intention avouée du sculpteur. Arc x 16 en sera le premier et complet témoignage. Avec ses 22 mètres, Arc est la plus haute des six œuvres conçues spécialement par l’artiste pour Versailles. Elles y sont toutes exposées dans les espaces ouverts du parc et des jardins de Le Nôtre, à la rigueur géométrique desquels elles s’accordent. Arc x 16 se compose donc de lamelles d’acier de forme identique, incurvées comme des arcs de cercle jusqu’à des hauteurs différentes, et terminées en vue plongeante sur le ciel. De chaque côté de la statue du roi, la base dédoublée de la sculpture laisse, entre ses pliures, un espace par où le regard s’évade, d’où l’idée d’un mouvement infini balayant ce qui l’entoure comme un kaléidoscope. Vue de l’arrière, avec ses grands bras entourant la statue du roi, l’œuvre est encore plus impressionnante, le regard traversant cette fois l’avenue de Paris pour aller se perdre vers les collines à l’horizon.

L’exposition entière repose sur un principe unique : un quadrilatère d’acier corten, matériau de forte résistance atmosphérique avec lequel Venet dessine des courbes, des volutes, ou qu’il regroupe en masses rompues à volonté en jouant sur leurs intervalles, en fonction du site destiné à les accueillir. Ainsi se déploient dans ces lieux prestigieux, tel un thème avec ses variations, les notes de cette véritable sonate d’acier.

Pour l’illustrer, au cours de la promenade, on va rencontrer d’abord, dans le Parterre du Midi, entre deux allées de cyprès taillés en cône et près de fleurs aux couleurs un peu plus mélangées que n’avait dû les concevoir Le Nôtre, quatre anneaux dont on ne peut déceler la coupure, enroulés sur eux-mêmes et enchaînés dans un mouvement perpétuel. Puis, en approchant du Parterre d’eau à la gauche du jardin, cinq groupes ouverts en hauteur. Les jeunes, garçons et filles, s’amusent à y prendre des poses de danseurs de ballet et à s’y photo­graphier tour à tour. C’est l’avantage d’un matériau solide qui permet au public de satisfaire son désir de toucher et plus même, de participer. À droite lui répondent les demi-cercles harmonieux de l’œuvre intitulée 219.5° Arcs x 28, des plateaux élargis doucement posés le long du parcours. Enfin, un Effondrement qui se glisse au sol du Bassin du Char d’Apollon, et au Bassin du Fer à Cheval, des cercles ouverts pour un dernier coup d’œil sur l’espace, point d’orgue de l’exposition.

Moins tapageuse que les précédentes, Venet à Versailles laisse même une impression de silence. Cela n’a rien d’étonnant dans cette démarche que l’on pourrait qualifier d’ascèse de l’imaginaire.

« Nous ne sommes pas du tout enchantés de ce projet », avoue une dame versaillaise rencontrée à l’arrêt du bus. Après quelques explications, elle me dit tout de même, un peu convaincue : « J’aimerais vous accompagner dans votre visite. » Réfractaires ou non, ses concitoyens auront le temps de s’habituer au travail de Venet puisque ce dernier, reconnaissant de l’honneur qu’il en a reçu, a offert Arc x 16 à leur ville. 

VENET À VERSAILLES
Château de Versailles
Commissaire : Bernard Marcadé
Du 1er juin au 1er novembre 2011