La 7e Manif d’art met en lumière la notion d’engagement. Un certain nombre d’événements politiques récents justifient ce choix. Une grande variété d’œuvres soutient cette orientation. Leur nombre et leur diversité devraient satisfaire un public assez large. Telle est l’ambition que nourrit sa commissaire, Vicky Chainey Gagnon. Elle s’en explique ici.

Christiane Baillargeon – Depuis combien de temps travaillez-vous sur le projet de la Manif d’art ?

Vicky Chainey Gagnon – En tant que commissaire, j’ai une pratique assez engagée. Je m’intéresse à la politique, à l’économie. J’ai accepté le mandat en août 2012 et j’ai commencé mes recherches au cours d’une résidence thématique en novembre 2012 au Centre d’arts de Banff, le Musée décapité (2012)1, où j’ai réfléchi au contexte des institutions. En 2008, au moment de la crise économique, j’ai observé que les artistes optaient pour de nouvelles façons de faire, et mes réflexions ont donné lieu à l’événement Valeur, présenté en 2012 à la Galerie d’art Foreman2, qui tendait à porter un regard critique sur la valeur économique des œuvres d’art. Ça fait donc longtemps que je travaille sur le sujet de la résistance.

Parlez-moi de votre rôle, à titre de commissaire, dans le contexte particulier de la Manif d’art. 

Mon rôle, en tant que commissaire, consiste à éclaircir le contexte de l’art engagé. J’ai proposé un projet politique, parlant de résistance et de la politique actuelle, et parlant aussi des conflits mondiaux et locaux.

Pouvez-vous détailler la distinction entre art et art politique ?

Pour moi, tout art est politique. Chaque artiste prend un risque en soutenant un propos spécifique. Il faut énormément de courage, aujourd’hui, pour être un artiste. Il y a quelque chose à dire sur le fait d’être artiste dans la société d’aujourd’hui. Il y a énormément de stéréotypes autour de l’art politique, qui serait plus documentaire. Plus on progresse dans le discours que proposent les arts visuels et médiatiques actuels, plus il devient pertinent de sonder le contexte dans lequel l’œuvre est créée.

D’où vient le titre : Résistance – Et puis, nous avons construit de nouvelles formes ? De vous ?

D’abord, j’ai proposé une exposition sous le titre Et puis, nous avons créé de nouvelles formes, et le thème de la résistance a été ajouté après, inspiré d’une grande exposition de Nato Thompson, Living as forms, qui a eu lieu à New York et qui a donné lieu à un important ouvrage3. J’ai voulu faire référence à ce travail en y apportant une dimension québécoise. J’ai choisi un corpus d’œuvres québécoises et je les ai mises en relation avec des artistes étrangers.

Dans le titre, la virgule est importante, parce qu’elle se rapporte à la notion de temps, à savoir comment on gère notre temps et ce qu’on fait autour d’une crise. Et puis, c’est-à-dire : après, on a fait quelque chose, en référence à la crise mondiale de 2008 et comment les artistes ont réagi à cette situation.

Quelle est votre définition de la résistance ?

Une résistance, dans ce contexte, s’applique à la construction d’une force, d’une vie, dans une situation donnée. La résistance est la volonté de changer quelque chose et c’est aussi une posture qu’on doit constamment adapter.

Pouvez-vous justifier le choix de plusieurs lieux et le choix des diverses activités ?

Pour créer un contexte autour de l’engagement, il faut utiliser des lieux du domaine public différents des lieux dédiés à l’art, en les investissant avec de l’art engagé. Parmi les quelques œuvres in situ, certaines contesteront les mandats des institutions qui les reçoivent. Il m’apparaît important de créer un contexte intelligent autour des œuvres, pour qu’elles parlent de l’art, de la vie, de l’actualité, mais aussi pour qu’elles entrent en dialogue avec l’institution4.

Parlez-moi de l’émergence de nouvelles formes d’apparences hétéroclites qui seront représentées, et de l’aspect éphémère de maintes manifestations de l’art actuel. 

L’art engagé socialement a émergé il y a déjà longtemps. Relationnelles ou non, les œuvres témoignent toujours d’une sorte d’engagement civique. Certaines d’entre elles appellent la participation d’un public. Des personnes se posent la question : est-ce que c’est vraiment de l’art ? Il s’agit d’un art éphémère, plus axé sur le processus.

Est-ce qu’il y aura des objets d’art traditionnels à la Manif ?

On trouvera de la peinture, de la sculpture, de l’estampe, de la photographie, mais aussi beaucoup de vidéos et de performances, parce que c’est la manière avec laquelle beaucoup d’artistes engagés mettent en forme leur discours. Un des premiers artistes que j’ai choisi fait de l’estampe. Quand on parle d’art politique, on ne peut pas négliger les murales, les bannières et toutes ces formes. L’emphase est mise sur le contexte de l’art engagé afin d’en montrer toutes les facettes.

Mon intention est de créer un laboratoire de recherche et de réflexion. Pour ce faire, avec Yaël Filipovic, collaboratrice à la programmation, nous élaborons des programmes publics qui seront offerts à tous, incluant les spécialistes engagés et les groupes scolaires, pendant toute la durée de l’événement. Cet aspect est au cœur de la Manif : puisqu’on parle de résistance, il faut activer le milieu. Sans ces nombreuses activités, il s’agirait d’une exposition comme les autres. Avec cette programmation, l’événement devient un laboratoire.

Que dites-vous de la question de l’œuvre d’art versus le document et qu’en est-il de l’esthétisme ?

L’esthétique dominante se rapporte au performatif. Les formes émergentes sont basées sur des documents, ce qui change le discours autour de l’art qui privilégie le contenu, le message, en délaissant l’esthétisme. Il y aura plusieurs grandes installations vidéographiques, dont certaines sont documentaires. Je trouvais important de diversifier les œuvres : certaines plus documentaires, d’autres plus poétiques. Il y a des œuvres relationnelles, des néons, de la photographie. La Manif d’art réunit 36 artistes, quelques-uns proviennent de l’étranger : Pays-Bas, France, Autriche, Guatemala, Russie.

J’ai réfléchi au contexte des biennales et à la valeur de la Manif d’art, aujourd’hui, de même qu’à la dimension pédagogique entourant les expositions. On ne peut pas seulement regarder l’événement en déplorant sa diversité. La biennale est une plateforme qui doit servir plusieurs publics, particulièrement lorsqu’elle parle de résistance et de politique. L’apparence hétéroclite est absolument nécessaire pour toucher le plus grand nombre de gens possible. 

(1) The Decapitated Museum, du 13 novembre au 7 décembre 2012, avec Vincent Normand et Étienne Chambaud, programme de résidence, Centre d’arts de Banff

(2) Valeur, exposition, du 11 janvier au 17 mars 2012, commissaire Vicky Chainey Gagnon, Galerie d’art Foreman, University Bishop’s

(3) Thompson, Nato (2012). Living as Form : Socially Engaged Art from 1991-2011, MIT Press : Cambridge, MA.

(4) Voir l’article rédigé par la commissaire Vicky Chainey Gagnon à ce sujet : « From the Populist Museum to the Research Platform : New Art Exhibition Practices Today », ETC, Numéro 95, février-mars-avril-mai 2012, p. 32-34.

Nos plus sincères félicitations vont à la commissaire Vicky Chainey Gagnon, qui quitte son poste à Sherbrooke, à la Galerie Foreman de l’Université Bishop’s, pour prendre la direction de la galerie provinciale de Terre-Neuve, The Rooms, située à St-John’s, où elle se rendra dès juillet 2014.

RÉSISTANCE – ET PUIS, NOUS AVONS CONSTRUIT DE NOUVELLES FORMES
Manif d’art, la biennale internationale en art actuel de Québec
Commissaire : Vicky Chainey Gagnon
Sites variés Centre Manif d’art 600, côte d’Abraham Québec
Du 3 mai au 1er juin 2014