Qu’est-ce qui relie la bicyclette Bixi, le flambeau des Jeux olympiques de Montréal, les tables de lecture de la Bibliothèque nationale du Québec, l’Angel Care, la lampe Picolo, les cafetières et les théières aux becs verseurs d’oiseaux des avions d’Air Canada, la mallette L’attaché, les pots de yaourt IÖGO, le caquelon à fondue Abénakis, le cardiovélo CCM, le support à ski SportRack, la bouteille d’eau de Javel Lavo ? Toutes ces choses portent la signature du designer industriel Michel Dallaire. Elles font partie d’un ensemble de 80 objets exposés au Musée de la civilisation à Québec. D’autres dénominateurs communs fondent l’unité de ces choses, mais l’un d’eux domine tous les autres : le plaisir. À quoi tient le secret de leur concepteur ?

Evidemment, Michel Dallaire, designer industriel comptant cinquante ans de métier, est un professionnel connu pour l’extrême rigueur de ses réalisations. Cependant, ce que montre la collection d’objets qu’il a conçus depuis la fin des années 1960 et qui sont exposés au Musée de la civilisation, c’est qu’ils sont le fruit du travail d’un authentique artiste. Son sens créateur s’inscrit dans l’esprit qui, dans le sillage du pop art, a inspiré une lignée d’artistes qui, au Québec, se réclamaient du genre ludique (Pierre Ayot, Serge Murphy, les Cozic…) ; le caractère iconoclaste de ce genre se retrouve notamment aujourd’hui, par exemple, dans les œuvres de Michel Broin, Laurent Craste ou du trio BGL qui excellent dans le détournement d’objets.

La créativité de Michel Dallaire procède d’une fantaisie inventive comparable. On en a pour preuves les sources d’inspiration du designer : la quenouille pour le flambeau olympique, le fermoir du porte-monnaie de sa grand-mère pour la mallette en plastique tout usage aux couleurs pop, le tipi des Abénakis pour le caquelon à fondue, une cacahuète pour les pots de yaourt, le boomerang pour le Bixi puisque, comme les boomerangs, les bicyclettes sont destinées à revenir. Pour Michel Dallaire, la création est assimilable à un jeu. Mais s’il n’y a rien de plus agréable qu’un jeu, il n’y a rien non plus de plus sérieux.

Une suite d’aventures

En décembre 2012, Michel Dallaire a fait don de ses archives au Musée de la civilisation. Il s’agit d’une masse impressionnante de documents d’une longueur de neuf mètres. Des papiers : correspondance, contrats, cahiers des charges, croquis, dessins, plans techniques, évaluations… Des moulages, des maquettes, des prototypes… Et, bien sûr, quelque 150 objets. Cinq ans plus tard, avec le concours du célèbre designer, les responsables du Musée de la civilisation en ont sélectionné 80 pour les présenter au public. Il faut savoir que chacun d’eux matérialise le couronnement d’une aventure. Les concepteurs de l’exposition ont pris le parti d’en raconter l’histoire, c’est-à-dire d’en suivre l’élaboration de l’idée à l’objetTel est le titre tronqué de l’expositionCar, dans son intégralité, le titre s’énonce comme suit : Dallaire. De l’idée à l’objet.

Michelle prénom du héros de la saga, ne figure pas dans le titre de l’exposition. Une telle omission n’est pas fortuite, elle est justifiée par la renommée de l’homme. Une semblable reconnaissance de notoriété distingue habituellement les grands artistes : Picasso, Cézanne, Van Gogh ou encore des constructeurs d’automobiles dont les patronymes sont devenus des marques de voiture : Citroën, Ferrari, Ford, McLaren… Mais attention : il faut moins y voir un signe de gloire que de popularité.

Le style

Michel Dallaire, aujourd’hui au sommet de sa carrière, n’a pas volé la popularité dont il bénéficie. Ses collègues, ses clients, ses collaborateurs, les techniciens, toutes les personnes qu’il côtoie à titre professionnel louent ses qualités de travailleur acharné, d’homme généreux, estiment sa convivialité naturelle… Mais les usagers des appareils et des objets qu’il a mis au point et qui ont été mis en service ou commercialisés avec succès, reconnaissent, au-delà leur indéniable utilité, quelque chose qu’ils pourraient appeler le style. On reconnaît, en effet, un objet conçu par Michel Dallaire à son style.

Oui, ce que l’on apprécie quand on regarde et que l’on manipule un objet conçu et réalisé par Michel Dallaire tient à la sobriété des lignes qui lui confère à la fois simplicité et noblesse. Sa beauté saute aux yeux. Et puis, son emploi est agréable et pratique. C’est la moindre des choses, dirait modestement le designer, c’est normal que je façonne des objets destinés à faciliter la vie de celles et ceux qui doivent s’en servir. Certes, mais originalité, simplicité, beauté, sécurité, fonctionnalité fluide ne sont pas toujours au rendez-vous de la séduction.

Dans un livre, dont le titre est le même que celui de l’exposition du Musée de la civilisation et qui fait office de catalogue, la journaliste Myriam Gagnon a recueilli les propos de Michel Dallaire. Il récapitule les moments déterminants de sa vie personnelle et professionnelle : l’une et l’autre sont en étroite corrélation. Il entremêle donc ses souvenirs : enfance difficile, adolescence turbulente, formation solide à l’École supérieure des arts industriels de Stockholm, rencontres déterminantes, décision de travailler de façon indépendante en créant son propre bureau…

Le plaisir

Parallèlement, il énumère et justifie, comme il ne l’a jamais fait auparavant, les principes, les méthodes et les outils qui conditionnent et orientent les procédés et le choix des matériaux de ses créations. Chaque fois, il présente la commande qu’il doit honorer comme un problème à résoudre. Il relate donc comment germe l’idée qui va catapulter la solution. Rehaussés par des panneaux flottants où sont reproduites les épures des projets, voilà ce que racontent les textes et les images fixes ou animées qui accompagnent les 80 objets exposés à Québec.

Or, ces récits sont pleins de joie. On y perçoit le frisson de grandes jubilations. Au fil des histoires qui se succèdent d’une station à l’autre dans la salle d’exposition, se détache la figure d’un Michel Dallaire souriant de ses ingénieuses trouvailles. Le plaisir qu’il éprouve à débusquer sans cesse des chemins inédits, qui conduisent à des innovations et à des inventions surprenantes, est sans doute proportionnel au plaisir qu’il aura su transmettre et qu’apprécieront, plus tard, les usagers de ces choses qui rendent la vie si belle quelquefois.


Dallaire
 De l’idée à l’objet
Musée de la civilisation de Québec
Du 6 décembre 2017 au 26 août 2018