« J’ai découvert, en travaillant sur des maquettes en verre, que ce quicompte c’est le jeu des reflets et non les effets de lumière et d’ombre comme pour un bâtiment comme pour un bâtiment conventionnel… Les seuls points fixes du plan sont les cages d’escalier et les puits d’ascenseur. Tous les autres éléments du plan répondent aux besoins de l’immeuble et doivent être réalisés en verre1. »

Quand, en traversant le pont Champlain, vous aurez des ennuis avec votre automobile, arrêtez-vous à la station-service Esso de l’Ile des Soeurs. Rassurez-vous! Ceci n’est pas une annonce publicitaire. Ces quelques notes sur une architecture de conception moderne poursuivent un but moins intéressé.

La station-service, l’immeuble numéro 1 (201, rue Corot) ainsi que quelques unités d’habitation constituent la première partie du projet d’aménagement de l’île, appelée Phase 1. Le permis de construction a été émis le 10 août 1967. Ludwig Mies van der Rohe, célèbre architecte de Chicago a joué le rôle de conseiller auprès de Philip David Bobrow, architecte de ce
partie du projet.

Sans constituer une étape des plus importantes dans l’évolution de l’architecture, cet ensemble porte en lui les caractéristiques essentielles des édifices tels que conçus par Mies van der Rohe, c’est-à-dire l’utilisation d’une ossature en acier ou béton, la tendance à éliminer le mur porteur et l’élimination de tout superflu dans construction.

La station-service, d’une hauteur maximale de seize pieds, repose sur un terrain à peu près rectangulaire. Trois voies d’accès, provenant toutes de la rue principale, permettent d’y accéder. L’automobiliste qui désire stationner son véhicule, soit pour aller aux locaux de l’administration, soit pour attendre le service, peut le faire à deux endroits différents, spécialement affectés à cette fin. Et pas de risques d’embouteillage! Une large voie asphaltée parcourt le péri mètre entier de la station-service.

Le plus souvent, pour obtenir de l’essence, il suffit de ranger le véhicule près de l’îlot de pompage (au centre) où, sur chacun des quatre côtés, prennent place les pompes à essence. La toiture protège cet espace des intempéries. Son aire dégagée et son accès facile en font un instrument efficace.

Le toit, que l’architecte a conçu en trois couches différentes, recouvre l’ensemble. Sept poutres d’acier disposées en longueur le supportent. A leur tour, des piliers d’acier supportent ces poutres et s’appuient sur le plancher de béton. Le mur traditionnel est évidemment absent de l’architecture de Mies van der Rohe.

Seules les salles d’entreposage du matériel, situées aux extrémités de la salle d’entretien et de réparation, font exception à cette règle. Quatre pouces de brique à l’extérieur de leur paroi murale donnent à l’édifice sa seule surface opaque, mise à part la toiture, et le seul endroit où l’on puisse trouver des jeux d’ombre et de lumière.

L’architecte a utilisé quatre matériaux dans la construction de la station-service: la brique, le béton, le verre et l’acier. Nous avons déjà mentionné l’usage de la brique. Le béton appartient en exclusivité au plancher. L’acier et le verre composent les parois murales et le toit.

Abandonnons la logique et partons du haut . . . L’ensemble de la toiture rectangulaire commande le reste de l’édifice: le plan d’ensemble est de même conception et des piliers en acier supportent une toiture de même fabrication. Car le mur n’est plus là pour partager l’énormité du poids! Aux extrémités de la station-service, l’espace vide compris entre les piliers est rempli par des panneaux vitrés qu’encadrent des meneaux et des traverses. L’îlot central ne comporte qu’une cage de verre. L’efficacité prime, le superflu disparaît. C’est à peine si on a pensé aux jeux d’ombre et de lumière. Le reflet, présent sur toutes les surfaces vitrées, règne en maître.

À l’exemple de la plupart des constructions basses précédentes conçues par l’architecte, une grande plate-forme de béton armé supporte tout le poids de la structure et nous rappelle le classicisme de l’architecture de Mies van der Rohe. Les lignes droites en constituent le second témoignage.

Remarquons que tous les éléments sont rigoureusement choisis pour déterminer une nouvelle structure et, par le fait même, un nouvel espace. L’utilisation de l’acier permet de réduire au minimum le nombre des piliers. L’îlot de pompage, pourtant recouvert de la toiture, ne semble pas faire partie d’un espace intérieur. La transparence et le reflet des grandes parois vitrées nous situent dans un espace autre que l’espace intérieur. Même les chaises MR de la salle d’administration, avec leur structure métallique en porte-à-faux recouverte de cuir lacé, apportent la pureté des lignes et la légèreté des formes.

L’immeuble numéro 1 montre aussi cette tendance qu’a l’architecte à éliminer le mur porteur. Le rez-de-chaussée, à l’exception de la cage d’ascenseur recouverte d’un parement de brique, est constitué de piliers seuls ou de piliers auxquels se greffent de grandes parois vitrées. L’importance des surfaces opaques par rapport aux surfaces vitrées tend à être réduite sur les quatre faces de l’immeuble par la multiplication des fenêtres.

Malgré une apparente répétition d’éléments, un peu d’attention suffit pour nous révéler les détails qui lui donnent sa grande diversité. Des piliers à section carrée entourent le périmètre extérieur du rez-de-chaussée
tandis que des piliers à section cruciforme délimitent un périmètre intérieur. Sur les côtés de l’édifice, la travée du centre est plus large que les deux autres.

Quant à la façade, voilà un bel exemple d’unité et de diversité alliées ensemble. Sur la hauteur, douze étages et. sur la largeur, douze travées lui donnent sa régularité et sa simplicité. Mais quatre fenêtres au lieu de trois sur les côtés prennent place entre les poteaux et rendent la texture d’ensemble différente. De plus, les poteaux en béton blanchi voient leur section changer de dimensions à deux reprises.

Dans le cas de la station-service, l’acier et le verre prédominaient surtout. Le béton prend plus d’importance dans la structure de l’immeuble numéro 1 et délimite des portions de surface où tout de même s’affirment le verre et le métal.

Nous pourrions croire que chez Mies van der Rohe la brique ne prendra jamais une importance égale à celle des autres matériaux. Sortent-elles d’un rêve de jeunesse? Les unités d’habitation prouvent le contraire.

Contrairement à l’immeuble numéro 1 qui comprend 204 logements, elles donnent à leur occupant une plus grande possibilité d’indépendance. Les murs sont recouverts de brique unie et laissent percer quelques fenêtres. Mies van der Rohe semble avoir eu à un moment de sa vie une prédilection pour la ligne abstraite et pour l’impression de régularité et d’unité que donne une surface toute de brique.

Tout dans les réalisations de la Phase 7 nous rappelle les caractéristiques de l’architecture de Mies van der Rohe: l’ossature et le recouvrement, composantes essentielles de l’édifice, obtention du maximum d’espace par l’utilisation sélective des matériaux et la tendance à tout ramener à
des plans abstraits. Un seul principe, l’efficacité! Pas de place pour les formes non fonctionnelles.

Mais à la fois nous retrouvons des traits communs, à la fois nous retrouvons dans chacun des édifices une originalité propre. que ce soit dans le choix des matériaux ou dans leur utilisation. Ces différences à l’intérieur d’un ensemble pourvu d’unité rattachent ces réalisations à une conception
maîtresse de l’architecture.

Par les réalisations de l’Ile des Soeurs Mies van der Rohe nous laisse un bel exemple de son architecture. La pureté de ses lignes, la simplicité de sa construction et l’utilisation efficace de l’espace lui donnent son caractère de modernisme et d’élégance. Elle devrait susciter l’intérêt de tous.

(1) Cité dans James A. Speyer, Mies van der Rohe. Chicago, The Art Institute of Chicago, 1968; p. 12.