Morrice
De pochade en pochade
Jardin du Luxembourg, Paris, v. 1905 Huile sur toile 73 x 60,5 cm Don de A.K. Prakash, Collection J.W. Morrice, 2015 Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa Photo : MBAC
Morrice ? « Il est un des rares [artistes peintres] qui savent où s’arrêter et conserver l’essentiel. Avec une grande simplicité, il recrée avec une vérité criante le volume, la densité et la masse des objets (…). De la manière la plus simple qui soit, il reproduit l’intime beauté des riches couleurs latentes des scènes le long des quais de Paris, de coins de Normandie ; des rues de Montréal, ou de lieux plus éclatants et joyeux d’Afrique du Nord1. »
Voilà en quels termes élogieux, en 1913, le critique d’art Charles Louis Borgmeyer présente James Wilson Morrice. L’ordre dans lequel il énumère les lieux qui ont inspiré le peintre canadien installé alors à Paris depuis près d’un quart de siècle est précisément celui qu’a adopté, en y intercalant Venise et en y ajoutant les Caraïbes, la conservatrice Katerina Atanassova, pour exposer la collection constituée d’une cinquantaine de tableaux offerte par A.K. Prakash au Musée des beaux-arts du Canada.
Au fil de l’exposition MORRICE Une collection offerte par A.K. Prakash à la nation, le visiteur suit chronologiquement l’évolution et l’itinéraire de James Wilson Morrice (1865-1924), de ses années de formation au Québec et aux États-Unis puis à Paris (1890) jusqu’à la fin de sa vie dans les Caraïbes (1924). Les tableaux qui se succèdent ainsi dans les salles du Musée sont de petits formats. Les plus grands, Jardin du Luxembourg, Paris (v. 1905) et Canal San Nicolò, Lido (1904) mesurent respectivement 73 x 60,5 cm et 59 x 81 cm. Il s’agit pour la plupart d’huiles sur toile ou sur panneaux de bois dont les formats se situent entre 12, 5 x 15 cm et 24 x 32 cm. C’est du traitement que donne l’artiste à ses sujets (portraits et paysages) que ses compositions tirent leur intérêt et leur charme. Elles exigent d’être observées de près.
Et les œuvres qui gagnent le plus à être appréciées en s’approchant beaucoup d’elles sont assurément les pochades. Il s’agit d’une des belles surprises que réserve l’exposition Morrice aux visiteurs curieux. D’ailleurs, l’artiste était bien conscient de l’originalité et de la valeur de ses tableautins exécutés en quelques rapides coups de pinceau. C’est pourquoi il ne les considérait pas vraiment comme des esquisses ou comme des études préliminaires sur le vif en vue de leur transposition à une autre échelle dans son atelier. La mise au net agrandie est parfois moins heureuse que le premier jet. Cette singularité fait l’objet de discussions entre spécialistes. Elle alimente en partie ce que les historiens de l’art appellent le mystère Morrice. Cependant, ils admettent sans restriction que Morrice considérait ses pochades comme des peintures à part entière. À en juger par celles qui font partie de la collection Prakash, l’avenir semble lui avoir donné raison, du moins pour quelques-unes d’entre elles. Certaines de ces pochades (elles ne sont pas clairement identifiées comme telles dans l’exposition) sont particulièrement émouvantes : Effet de neige (v. 1905-1906), La plage de Bon-Secours à Saint-Malo (v. 1910), Café sur la Piazzetta, Venise (v.1900), Café, Venise (v. 1902-1905), En attendant le bateau, Tanger (v. 1912-1913), Paysage, Trinité (1921).
Morris inclassable
Bien sûr, le visiteur perspicace percevra dans la facture de certains tableaux des influences qui le conduiraient, par exemple, à inclure Morrice parmi les peintres impressionnistes ou post- impressionnistes. Dans le catalogue qui accompagne l’exposition, aussi bien le collectionneur A.K Prakash que les auteurs recrutés par la commissaire récusent avec éloquence une telle classification. Les uns et les autres remarquent, en effet, le refus de Morrice de dissoudre totalement les formes ; ils notent aussi qu’il ne recherche pas les effets atmosphériques. A.K. Prakash soutient que, pour Morrice, la lumière est secondaire ; « contrairement aux impressionnistes, affirme-t-il dans l’entretien qu’il accorde à Katerina Atanassova à la fin du catalogue, c’est la lumière qui se soumettait à sa peinture ». Il justifie l’ambition qu’il prête ainsi à l’artiste dont il a patiemment pendant trente-cinq ans acquis les œuvres, en rattachant les créations de Morrice à la conception paradoxale que Baudelaire (1821-1867) donnait du monde, conception nourrie à la fois par la sensation du transitoire et par le caractère éternel du moment. À ce sujet, le collectionneur déclare avec chaleur : « Morrice souhaitait exprimer l’éternel dans le moment tel qu’il le vivait. (…) Aucun autre artiste canadien et, j’oserais dire, très peu d’artistes nord-américains, ont une aussi étonnante aptitude à dépasser ce que perçoit l’œil dans son appréhension du réel. » En somme, contrairement à ses contemporains, Morrice fait état d’une vision seconde, réflexive, de la réalité.
L’invitation au voyage
L’exposition de la collection Prakash est certes animée par le désir de valoriser l’œuvre de Morrice, mais plus encore elle est portée par le souci de donner sa juste place – celle d’un pionnier – à Morrice au sein de l’histoire de l’art canadien. Une telle entreprise se heurte notamment au fait que la majeure partie de la vie de l’artiste se soit déroulée à l’étranger, loin du contexte défini par les enjeux esthétiques teintés de nationalisme qui ont sillonné le XXe siècle au Canada. Morrice doit-il pour autant être considéré comme un étranger ? Les historiens s’accordent pour reconnaître que son influence sur l’art canadien est décelable dans les œuvres de nombreux artistes qui lui ont succédé. Elle reste encore à évaluer avec précision.
Quoi qu’il en soit, suivre Morrice de pochade en pochade dans ses pérégrinations et ses haltes de Montréal à Paris, de Venise à Tanger, des tranchées et des ruines de la guerre de 14-18 aux Caraïbes est, pour citer une fois encore Baudelaire, une somptueuse et intime invitation au voyage.
(1) Charles Louis Borgmeyer, « The Master Impressionists », Fine Arts Journal, vol.28 (juin 1913), p. 347.
MORRICE Une collection offerte par A.K. Prakash à la nation
Commissaire : Katerina Atanassova
Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa
Du 13 octobre 2017 au 18 mars 2018
Galerie d’art Beaverbrooke Fredericton, Nouveau-Brunswick
Du 12 avril au 2 juillet 2018
Art Gallery of Alberta
Du 20 juillet au 7 octobre 2018
Musée d’art de Joliette
Du 2 février au 5 mai 2019