Nouvelle direction au RCAAQ : entretien avec Catherine Bodmer
Fondé en 1986, le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ) est un organisme national dont la mission est de servir, rassembler, représenter et promouvoir les centres d’artistes québécois. Afin de stimuler le déploiement de l’art dans la société, il soutient la recherche et l’expérimentation des centres d’artistes et encourage l’autogestion. À l’aube de son nouveau mandat à la direction générale du RCAAQ, Catherine Bodmer nous a fait part de ses objectifs, défis et aspirations.
Camille Bédard – Que représente pour vous ce nouveau poste ? Quels sont vos objectifs ?
Catherine Bodmer – Je me retrouve au tout début de mon mandat : pour moi, c’est important de commencer avec la consolidation de l’équipe et le C.A. Par contre, comme j’étais déjà au RCAAQ pendant sept ans en tant que coordonnatrice du Service de formation et de développement professionnel, je connais bien l’organisme et sa dynamique – non seulement avec l’équipe, mais également avec tous nos membres. Ça me donnait un bon point de départ pour me glisser dans ce poste, ce qui s’est fait assez naturellement.
Ce qui me tient à cœur, c’est de rester proche du terrain, d’être à l’écoute de ce qui se passe dans notre milieu : des centres d’artistes évidemment, mais aussi des arts visuels et des arts en général. L’intention d’origine des centres d’artistes est claire : à la base, l’artiste est au cœur de cet écosystème. Je veux aussi participer à la mouvance actuelle, alors que la discussion sur la diversité et l’équité défie nos structures. Et avec la pandémie par-dessus, qui amène d’autres difficultés, mais en même temps, qui représente une opportunité de s’interroger sur nos façons de faire. Commencer un mandat en ce moment, c’est exigeant, mais aussi intéressant, parce qu’on se trouve dans un moment d’ouverture, de réflexion.
J’aimerais en savoir davantage sur votre double posture en tant qu’artiste et travailleuse culturelle…
J’ai immigré de la Suisse il y aura bientôt vingt-quatre ans. À mon arrivée, pendant ma maîtrise à l’UQAM, j’ai commencé à fréquenter les centres d’artistes – une réalité que je ne connaissais pas du tout. Presque dès le début, j’ai été impliquée dans des centres, d’abord comme membre, et j’ai eu la chance de siéger à un comité de programmation. Assez rapidement, je suis devenue coordonnatrice artistique à La Centrale/Galerie Powerhouse. En même temps, j’ai commencé à exposer mon travail : c’est véritablement au Québec que ma carrière en tant qu’artiste a démarré. Donc pour moi, ces deux éléments sont interreliés, même si ça n’a pas toujours été facile, parce que l’engagement dans la pratique artistique demande énormément d’attention et d’énergie. D’une certaine manière, parce que j’ai gravité dans beaucoup de centres d’artistes, ça m’a ouvert des portes en tant qu’artiste professionnelle, et vice-versa. J’ai l’impression d’être comme un poisson dans l’eau. Et ça, c’est un privilège.
L’intention d’origine des centres d’artistes
est claire : à la base, l’artiste est au cœur
de cet écosystème.
Revenons sur l’impulsion de départ du RCAAQ, qui a été fondé entre autres pour soutenir les pratiques de dématérialisation en arts visuels, alors moins soutenues par les musées. Cet objectif de créer une nouvelle scène a-t-il été atteint ?
L’impulsion émancipatoire de départ était de permettre l’expérimentation et la recherche artistique, par rapport au marché et aux établissements en arts visuels. Qui décide ce qu’est la culture, ce que l’on collectionne, ce que l’on montre ? Les centres d’artistes ont réussi à soutenir des pratiques qui n’auraient jamais pu se déployer de cette manière, de façon aussi démocratique. Reste-t-il encore des choses à faire ? Certainement, notamment avec les remises en question provenant des artistes autochtones, noirs et de couleur ; ils défient les structures et dénoncent les mécanismes d’exclusion. Même si l’inclusion, la transparence et la démocratie participative font partie des valeurs des centres d’artistes, il y a un angle mort important par rapport aux personnes racisées qu’il faut maintenant revoir.
Depuis le début de la pandémie, le milieu artistique en entier est durement éprouvé. Quels sont les enjeux spécifiques aux arts visuels ?
Pour les artistes, présenter un travail dans un centre d’artistes, c’est quand même très précieux car il y a relativement peu d’opportunités. L’annulation ou le report d’une exposition, d’une performance, d’une résidence, c’est très décevant. Étant des structures subventionnées, plusieurs centres ont pu payer, heureusement, des cachets aux artistes. Mais d’un côté organisationnel, ça pose de gros problèmes logistiques : est-ce que l’on reporte le programme complet ? Est-ce qu’on le décale ? La pandémie a créé un certain traumatisme pour les gestionnaires des organismes. Les ressources étant limitées, il y a du travail supplémentaire, beaucoup de bouleversements et de stress. C’est une invitation à réfléchir plus largement sur le fonctionnement du RCAAQ et aussi celui de nos membres. Par exemple, pour remplacer le forum annuel habituellement organisé au mois de juin, on a créé des mini-forums hebdomadaires qui permettaient aux membres d’échanger leurs défis de la minute, du jour, de la semaine. Dans le futur, cette formule sera conservée ; toutefois, on en ralentira la cadence, pour donner la possibilité aux membres de se réunir régulièrement via Zoom.
Et pour un réseau aussi vaste que le RCAAQ, c’est intéressant, non ?
Cela offre certainement d’autres possibilités de travailler ensemble. Pour moi, c’est important de maintenir cette collectivité-là. Logistiquement, Zoom peut s’avérer très utile pour plus de souplesse et réunir plus facilement des gens, surtout en petits groupes. Ça dynamise l’idée de la collectivité.
Il y a un projet d’intégration en cours entre le Conseil québécois des arts médiatiques, le Regroupement des arts interdisciplinaires du Québec et le RCAAQ visant la mutualisation de certaines expertises et la création d’un réseau intersectoriel. Quel est l’objectif d’une telle initiative ?
Le but premier, c’est d’unir les forces, pour avoir un meilleur levier économique et politique auprès des bailleurs de fonds. Les arts visuels ne se mesurent pas tellement en termes de revenus étant donné que les activités sont souvent gratuites. Ce n’est pas la même logique que pour l’industrie du divertissement : on se situe davantage dans la recherche et l’expérimentation, et on veut rester indépendants du marché. La mutualisation permettra de se rassembler en plus grand nombre autour de ces objectifs, avec l’artiste au cœur des décisions. Un comité travaille sur ce chantier et les membres des trois associations sont consultés régulièrement. Ce qui motive ce projet, c’est le gain, mais aussi la protection de ce qui serait naturellement perdu dans une éventuelle intégration. Il faut garder ça en tête, car si nous ne sommes plus uniquement une association de centres
d’artistes autogérés, comment réussira-t-on à garder cette cohésion ?
Le communiqué annonçant votre nomination mentionnait en clôture que le RCAAQ amorçait « un nouveau chapitre de son histoire ». Quel est-il ?
Il s’agit d’abord de mettre de l’avant les partenariats et de s’offrir la possibilité de collaborer, d’élargir notre base, notre membrariat. Il faut diversifier les partenariats pour plus de transversalité avec des associations de tous horizons. Pour moi, c’est nécessaire de dialoguer davantage avec des organismes pionniers dans les approches antiracistes et décoloniales. À l’interne, c’est nécessaire de faire ce travail de sensibilisation : en tant qu’organisation, je pense que nous n’avons plus le choix de se questionner sur notre position face aux privilèges et à la domination blanche.
Et que peut-on vous souhaiter pour votre mandat ?
Pas trop de confinement ! De l’optimisme, aussi : on est dans un temps très dystopique, ambiant, difficile. Je suis une personne optimiste, et je tiens à la notion de l’utopie, dans la mesure où ça peut servir de guide, même si on ne l’atteint pas.
Parfait. Alors, à des futurs utopiques !
À des futurs utopiques ! C’est bon, ça.
En raison des nouvelles directives émises par le gouvernement du Québec concernant la pandémie actuelle, l’exposition des œuvres de Catherine Bodmer, Synonymes, dans laquelle est présentée une installation photographique portant sur un marché de plantes dans le Viveros de Coyoacán à Mexico est reportée du 6 mai au 12 juin 2021 à la Galerie B-312, à Montréal.