La projection architecturale constitue un médium qui compte désormais parmi les modes d’expression de l’art public. Elle illumine et enlumine les édifices et les monuments de beaucoup de grandes villes. À Montréal, le studio Moment Factory s’est démarqué en réalisant, en Catalogne, de mémorables éclairages sur la Sagrada Familia, la cathédrale conçue par Gaudi, mais les succès de cette entreprise ne se sont pas limités à cette prouesse.

En septembre 2012, Moment Factory a présenté, au Festival de La Mercè, en Espagne, une projection architecturale intitulée Ode à la vie : un gigantesque cadeau multimédia produit en partenariat1 et offert par la Ville de Montréal à la Ville de Barcelone. Un projet d’autant plus impressionnant qu’il animait la façade de la Sagrada Familia, la fabuleuse église conçue par l’architecte Antoni Gaudi. Aujourd’hui encore, une partie de cette aventure demeure accessible grâce aux documents qui subsistent et dont certains sont disponibles en ligne2.

Une œuvre sur l’œuvre

La projection architecturale est un projet de médiation artistique. Destinée à un vaste public, elle propose de vivre une expérience différente de celle qui résulte de l’émotion que suscite un édifice, même s’il est familier. La structure multi­média se superpose à l’architecture, son support n’est ni neutre ni blanc, il comporte déjà des propriétés uniques liées aux choix de son auteur, dont il faut tenir compte.

Les propos tirés d’un entretien avec Nelson de Robles révèlent certains aspects particuliers du projet. Le réalisateur d’origine argentine admet que la projection Ode à la vie représentait un grand défi. « D’abord parce qu’il s’agit d’une église, et ensuite parce que c’est celle de Gaudi. J’étais préoccupé, car je craignais de manquer de respect à l’œuvre et à son auteur. Avec une équipe, nous sommes allés en Espagne et nous avons fait la rencontre merveilleuse de Daniel Miracle3, un spécialiste de Gaudi, qui a guidé notre visite de la Sagrada Familia. Ça m’a beaucoup inspiré et apaisé d’apprendre que Gaudi, qui était un avant-gardiste, avait lui-même pensé à inclure du multimédia à son église ! Plusieurs fois, il me semblait que le génie de Gaudi ouvrait la voie, il fallait suivre son esprit novateur. »

Ode à la vie, les sept jours de la création

« Sachant que la situation économique était difficile en Catalogne, nous voulions offrir un message d’espoir et créer un spectacle pour toutes les cultures. Le thème des sept jours de la création semblait bien convenir. »

Esquissé à partir de nombreux dessins, minutieusement ajusté ensuite aux reliefs d’une maquette de la façade de la Sagrada Familia, le scénario développe la métaphore de la transformation. Chaque jour, un cocon s’ouvre et représente un univers particulier : le monde marin, celui des plantes, des animaux, etc. La forme semble inerte au début, puis elle prend vie et se déploie. À la fin du spectacle, une pluie de papillons lumineux tombe sur l’assistance. L’obscurité se dissipe avec les étincelles d’espoir qui se répandent.

« On a développé une pluie de milliers de lucioles, parce qu’on cherchait à toucher les gens, à faire une différence pour eux.

Avant chaque représentation, des grues montaient des barils remplis de papillons lumineux, une pièce pyrotechnique activée par un dispositif sans fil permettait qu’ils soient déversés sur le public à la fin du spectacle.

Nous avions installé un énorme échafaudage : on l’avait mis en place pour la régie, et c’est là que se trouvait l’équipe. À la fin de la projection, le public a applaudi, et puis les gens en regardant l’église se sont arrêtés, ils se sont tournés vers nous et se sont remis à applaudir. Très émus, nous savions, à ce moment-là, que nous avions réussi à toucher tout le monde. Aucune opération de nettoyage n’a été nécessaire, les spectateurs ont emporté toutes les lucioles avec eux. »

Quelques mots sur Moment Factory

Depuis sa fondation en 2001, Moment Factory monte des environnements multimédias pour des événements rassembleurs. Ce studio montréalais retient les services de plus de cent artistes, concepteurs et spécialistes de la vidéo, de l’image, du son, de l’éclairage et des effets spéciaux. Sa grande équipe multidisciplinaire est internationale, ses membres proviennent de tous les continents. Le travail est mené en synergie, et la participation de chacun reste le plus souvent anonyme, comme au temps des bâtisseurs de cathédrales.

« Depuis les dernières années, nous avons vécu plusieurs succès et nous pouvons maintenant choisir les projets qui permettent de prioriser notre vision artistique. »

L’entreprise a produit des environnements pour le Cirque du Soleil, Madonna, Disney, la NFL, Atlantic City, le Quartier des spectacles de Montréal et, tout récemment, un circuit nocturne pour le Parc de la Gorge, à Coaticook4.

La magie des documents

« Toute l’énergie de l’œuvre de Gaudi et son ampleur, évidente lorsqu’on se trouve face à l’église, établissent d’emblée une atmosphère particulière à laquelle s’ajoutent le niveau de son, l’éclairage, la foule sur place, une expérience qui ne peut pas être trans­posée complètement. »

Si une part de la valeur d’une œuvre peut se mesurer à sa capacité à traverser le temps, lorsqu’il s’agit d’une œuvre performative, elle doit être investie d’une force exceptionnelle pour toucher les gens et continuer à diffuser son message même après sa présentation. Lorsque, plusieurs années plus tard, les documents qui en témoignent arrivent eux aussi à émouvoir le public, c’est peut-être que la grandeur du message ou sa beauté transgresse le format initial.

Dans cette grandiose production, la technique, particulièrement imposante puisqu’il s’agit d’un gigantesque spectacle son et lumière, s’efface complètement. Les documents photographiques et vidéographiques montrent la foule ravie. Ils attestent de la magie et de la poésie indéniables de cette performance unique, tellement porteuse d’espoir.

(1) Moment Factory, la Ville de Barcelone et la Ville de Montréal étaient les trois partenaires du projet.

(2) En ligne.

(3) Critique d’art et historien, auteur de plusieurs publi­cations, Daniel Giralt-Miracle était l’organisateur de l’année internationale de Gaudi célébrée en 2002 au moment où la Casa Batlo, un autre chef-d’œuvre de l’architecte, ouvrait ses portes au public.

(4) http://www.momentfactory.com/fr/project/street/Foresta_Lumina

ODE À LA VIE SUR LA SAGRADA FAMILIA (BARCELONE)
Une production de Moment Factory Festival de La Mercè (Espagne)
Les 21, 22 et 23 septembre 2012