Québec reçoit en don plus d’un millier d’œuvres d’Alfred Pellan (1906-1988). Avec ce legs, le Musée national des beaux-arts du Québec devient le plus grand dépositaire de l’art de Pellan.

Histoire de soulever le voile sur ce don exceptionnel et afin d’honorer la mémoire de Madeleine Poliseno-Pelland, veuve de l’artiste qui a consenti à ce legs, le Musée a présenté le temps d’un week-end, à la fin du mois d’octobre 2012, 75 œuvres inédites parmi ces « Pellan de Pellan ».

Inscrit à l’École des beaux-arts de Québec à 15 ans, Pellan, boursier à 20 ans en 1926, s’embarque pour Paris. Là, à l’instar des arlequins et des comédiens qu’il aime peindre, il jongle avec les influences alors en vogue pour se tailler un personnage à la mesure de lui-même. « Je suis parti à la découverte de l’art moderne, fouinant partout dans Paris, visitant les expositions, regardant tout ce qui pouvait m’intéresser », écrit Pellan. Alors il se gave. Il absorbe. Il se reconstruit. Paris est une fête ! Il est partout.

Lorgnant vers le surréalisme ou le Picasso figuratif, ses toiles se mâtinent de Cézanne. Dans ses portraits et ses natures mortes, le peintre allie le dessin traditionnel à un langage syncopé, plus novateur, issu du cubisme, très « chantre du monde moderne ». « Je faisais des choses par moments les plus osées et après je revenais à des choses plus réalistes, plus figuratives et j’alternais comme cela constamment », se souvient-il en 1967.

1929. Sa bourse expire. Grâce à l’aide de son père, il décide de rester, « … même si je n’arrive pas à vendre ». Il dessine des tissus pour le couturier Schiaparelli et, plus tard, le flacon du parfum Carnet de Bal pour Revillon. Vers 1930, sur un croquis, il élimine le « d » de son patronyme. À Montparnasse, il rencontre Miró, mais aussi Alain Grandbois, l’auteur d’Avant le chaos. « Mon ami Pellan, écrit Grandbois, plongeait dans la peinture comme dans une piscine. » Le bilan est remarquable. Explorant la couleur pure, mais toujours cubiste, entretenant avec la tradition un rapport où « ce qu’il faut » de déférence voisine avec « ce qu’il faut » d’impertinence et de rupture, ses natures mortes, ses compositions joyeuses et plus abstraites cristallisent l’esthétisme des années trente parisiennes. À la Galerie Jeanne Bucher dont il est l’un des poulains, ses camarades ont nom Braque, Léger… 1937. Pellan est reçu « très gentiment » chez Picasso.

La guerre le chasse. Choc salutaire pour les uns. Horreur pour les autres. C’est un artiste « moderne » qui débarque au pays. Ce passeur est suspect au regard des autorités artistiques du Québec de la Grande Noirceur. « Il nous apportait en 1940 avec un vent de liberté les innovations de l’École de Paris », soulignait en 1961, dans un article du Maclean’s, le peintre Jacques de Tonnancour, auteur du manifeste Prismes d’Yeux que contresigne Pellan en 1948.

Après une série de portraits et scènes de Charlevoix au début des années 1940, Pellan conçoit des décors et des costumes de théâtre pour La nuit des rois, en 1946. Professeur, son influence est décisive. Couleurs acides, plongées de rouge, sa peinture d’alors se reconnaît à travers certains vers des Îles de la nuit, du poète Alain Grandbois, qu’il illustre en 1944 : « Le sang se mêlait à des couleurs jamais perçues ».

En 1950, Pellan et sa femme Madeleine emménagent à Sainte-Rose, alors la campagne. Une profusion organique s’empare alors de ses toiles, placées sous le thème de la nature. Avec la série des Jardins (1958), Pellan cultive avec émerveillement floraisons, fruits et plantations étranges qui s’agrémentent de rebuts fragiles et poétiques. Pour l’artiste, il s’agissait de jolis pavés fleuris jetés dans la mare, déjà pour lui trop cérébrale, de l’art de son temps. À leur suite, sur le thème du bestiaire, il convoque une assemblée d’animaux, de poissons, d’insectes qui se métamorphosent. Au contact de la sérigraphie abordée à la fin des années 1960, sa peinture se simplifie par l’emploi de couleurs intenses en aplats.

Créatif. Joyeux. Jubilatoire. Pellan s’amusait. Je me souviens de ma visite éblouie, en 1981, à la « demeure tableau » de l’artiste et de sa compagne, à Sainte-Rose. Ils vivaient entourés de mille et un objets saugrenus qui grouillaient dans tous les coins. Une ménagerie fantastique proche de l’Art brut ornait les pierres de la cheminée. Pellan avait modelé son environnement à l’image de son art. Sa maison fait aussi partie du don.