Pierre Gauvreau s’est éteint le 7 avril 2011. Avec son frère, le poète Claude Gauvreau, il était l’un des 15 signataires du manifeste Refus global écrit par le peintre Paul-Émile Borduas. Ce dernier appelait Pierre Gauvreau « Pierre le Peintre Né ». Ils s’étaient rencontrés en 1941.

Né en 1922, Pierre Gauvreau participe aux principales manifestations du groupe automatiste. Tout en continuant à exposer, il contribue au milieu des années 1950 à la grande aventure des débuts de la télévision. Débordé par son travail de réalisateur, il cesse peu à peu de peindre durant les années 1960. Après Radio-Canada, sa carrière dans le domaine du cinéma et de la télévision se prolonge au début des années 1970 à l’Office national du film et à Radio-Québec. Il reprend les pinceaux en décembre 1976. En parallèle à sa peinture, Pierre Gauvreau retourne vers l’écriture télévisuelle, en 1979, avec la série Le Temps d’une paix. La popularité de cette émission, reconnue pour sa qualité, consacre dans les médias et auprès du grand public sa stature de « héros culturel ». Elle sera suivie à Radio-Canada par Cormoran et Le Volcan tranquille, les deux autres volets de ce qui constitue une trilogie téléromanesque.

Depuis qu’il s’était remis à la peinture, les œuvres de Pierre Gauvreau irradiaient toujours la présence forte de l’automatisme. En mai 1979, aux côtés des huiles automatistes des années 1940, le Musée d’art contemporain de Montréal, dans la Cité du Havre, dévoilait les nouvelles œuvres de Gauvreau.

Ample et généreuse, sa peinture automatiste, écrit Bernard Tesseydre dans le catalogue de l’exposition Borduas et les Automatistes au Grand Palais à Paris en 1971, « improvise en pleine pâte », tentée peut-être « par un retour aux valeurs révolues de l’harmonie plastique ».

Avec ardeur et énergie, ses acryliques de 1978-1979 juxtaposaient plans de couleurs et taches acides dans des gestes fougueux. Dès lors, la comparaison entre ces acryliques et le brio des huiles automatistes des années 1940 était inévitable. Il faut comprendre pourtant qu’aux yeux de Gauvreau la peinture constituait une sorte d’aire disséminée sur plusieurs centres. D’une étape à l’autre, des toiles sont créées, non pas en vertu d’une quelconque logique de l’évolution, mais plutôt en fonction du partage d’une philosophie de l’art qui rejoint certains préceptes chers à l’automatisme où l’accent est placé sur la spontanéité. Peintre, écrivain, homme de média, Pierre Gauvreau affirmait ne pas faire de différence entre ses différentes activités.

La trajectoire picturale de Pierre Gauvreau est faite d’accélérations prodigieuses, mais aussi d’une certaine distance. Loin de toute monoculture, il plonge durant ses périodes de jachère picturale dans d’autres avenues créatrices. Influencée par les « patenteux » découverts à l’occasion de reportages télé, sa peinture s’inspire des expressions directes et sauvages de l’art brut, de la pratique du cadavre exquis surréaliste. Admirateur des œuvres de Riopelle dès ses débuts, il se rapproche du Riopelle plus figuratif du tournant des années 1980. Le peintre prodige qu’est Gauvreau refuse que sa peinture repose sur une virtuosité qu’il juge peu à peu encombrante et dont il tente de se défaire. À travers ses ressacs et ses retours, il en arrive à se défier de l’art pour l’art et des conventions picturales en vigueur.

À l’art pour l’art, il oppose une richesse pléthorique, débridée et comme désorganisée à souhait. Loin des contraintes, Gauvreau, durant les années 1980, mise sur la faculté d’inventer tous azimuts. Faisant flèche de tout bois, il juxtapose dans ses toiles trames et objets. Rebelles à tout dogmatisme, ses toiles témoignent toujours du plaisir d’exalter la couleur et de donner libre cours à son imagination. Cette incandescence de la couleur est-elle en même temps une façon de conjurer le temps qui fuit ? À partir des années 1980, malgré un caractère d’urgence et de nécessité qui force l’admiration, sa peinture peine toutefois à transgresser des limites allégrement franchies durant sa jeunesse. Quoi que l’on en dise, elle demeure pourtant une leçon de vitalité.

L’exposition Pérennité, organisée à la Galerie Michel-Ange dans le Vieux-Montréal du 17 février au 17 mars 2011, rassemblait des œuvres dont certaines remontaient à 1979. Pierre Gauvreau y exposait en compagnie de ses compagnons d’armes de l’époque automatiste Marcel Barbeau et Fernand Leduc, comme lui signataires du Refus global. Amputé d’une jambe, il avait tenu malgré tout à se rendre en ambulance au vernissage de l’exposition. Par la suite, Gauvreau était retourné à de nombreuses reprises à la galerie au milieu de ses œuvres et de celles de ses camarades en un émouvant dernier adieu. l