Les 6 et 7 mai 2021 s’est déroulé le colloque L’art en résidence : expériences et effets, organisé par ARTENSO, un centre collégial de recherche et de transfert en pratiques sociales novatrices. Entièrement diffusé sur Zoom, l’événement s’est décliné en deux temps : une première matinée consacrée à la présentation de travaux de recherche récents a eu lieu dans le cadre du 88e Congrès de l’Acfas ; tandis que la seconde partie, visant à faire dialoguer les milieux académiques et les milieux de pratique, a pris la forme d’une conversation ouverte au public animée par l’équipe de la revue Vie des arts

Gestionnaires d’organismes culturels, chercheurs et chercheuses de France et du Québec ont ainsi eu l’occasion de mettre en commun leurs perspectives et leurs expériences afin de réfléchir les résidences d’artistes en tant que dispositifs relationnels et communicationnels. Divers enjeux ont notamment été abordés dont la diversité de leurs formats, leur temporalité, de même que leur potentiel transformateur pour les communautés et les milieux dans lesquels elles s’inscrivent. Le contexte plus large permettant l’existence de ces formes d’initiatives culturelles a également fait l’objet de discussions, allant des conditions d’accès aux enjeux politiques qui les sous-tendent. L’objectif de ces deux journées vise à établir un état des lieux des connaissances, de dégager des réflexions sur les effets et les retombées communautaires des résidences et de formuler des pistes pour fournir un accompagnement optimal aux artistes. Comment mettre en œuvre des partenariats qui répondent véritablement aux besoins du milieu culturel ? Quels sont les freins à des collaborations fructueuses ? Voilà quelques-unes des questions qui ont animé les échanges. Retour sur les faits saillants de ce colloque.

RÉFLÉCHIR LE DISPOSITIF RÉSIDENTIEL

Si les résidences d’artistes foisonnent au Québec comme dans le monde depuis une trentaine d’années, force est d’admettre que ce champ d’intervention est encore peu exploré dans les milieux académiques. ARTENSO vise à enrichir la thématique en menant trois projets de recherche accompagnés d’activités de transfert : colloque, guide pratique et publication scientifique. La première journée de travail a débuté avec Carole Bisenius-Penin, professeure et chercheuse en littérature à l’Université de Lorraine et figure référence sur les résidences d’auteurs. Son tour d’horizon théorique à travers les définitions, les catégories et les logiques d’action a mis en valeur la diversité des formes et des approches des résidences artistiques. Elle a aussi rappelé l’importance de situer le point de vue de la recherche comme celui de l’artiste ; à savoir si, par exemple, la résidence rend visible le travail de la création quand des types de médiation culturelle s’y déploient.

Les présentations de la matinée ont permis de poursuivre ces réflexions à travers des cas et terrains spécifiques : résidences artistiques en milieux de vie (Louis Jacob et Clara Déry), résidence d’écrivain en contexte collégial (Catherine Langlais), résidences de création musicale dans le cirque (Marc-Antoine Boutin) et résidences dans les entreprises du numérique (Sylvain Martet). La diversité des situations analysées a mis en lumière la flexibilité des dispositifs résidentiels, notamment dans le rythme du travail des artistes. L’importance des intermédiaires et des équipes de soutien a été soulignée, tout comme celle des liens créés par les artistes avec l’ensemble des personnes et des milieux d’accueil.

Façade d’Adélard à Frelighsburg

D’UNE ARCHÉOLOGIE DE LA RÉSIDENCE AUX EXPÉRIENCES PRATIQUES

Le lendemain, suivant une volonté de mieux cerner l’émergence et le développement de ces pratiques, Marie-Christine Bordeaux, professeure et vice-présidente responsable de la culture et de la culture scientifique à l’Université Grenoble Alpes, a présenté les assises historiques du dispositif résidentiel dans les milieux éducatifs en France. Cette perspective dite « archéologique », basée sur des documents d’archives, est apparue comme un contrepoint intéressant aux expériences relatées lors des deux panels qui ont suivi, réunissant des gestionnaires d’organismes culturels québécois : Adélard, Sporobole, Montréal, arts interculturels (MAI) et le Théâtre Aux Écuries.

S’INSCRIRE DANS LA COMMUNAUTÉ

L’inscription dans la communauté s’est distinguée comme l’un des thèmes phares des échanges avec les panélistes. L’exemple d’Adélard, présenté par son vice-président Franck Michel, est apparu à cet égard fort probant. Situé dans le village de Frelighsburg en Montérégie, le centre en arts visuels reçoit des artistes en résidence depuis son ouverture en 2018 en privilégiant un dialogue entre les personnes qu’il accueille et la population. Porteuses de retombées concrètes pour les communautés dans lesquelles elles se déploient, « les résidences peuvent faire émerger les potentialités du territoire » selon Franck Michel. Directeur général et artistique du centre d’artistes Sporobole, Éric Desmarais a partagé les méthodes mises en place dans le programme Interface : art/science. Misant sur des initiatives intersectorielles de recherche et de cocréation de longue durée, ces résidences ont pour objectif d’assurer une véritable collaboration entre les artistes et les communautés scientifiques de l’Université de Sherbrooke. Ces récits d’expériences ont montré que le succès d’une résidence artistique repose sur une implication humaine forte de toutes les parties. Car après tout, la résidence est aussi affaire de relations et de lien social, comme l’a précisément souligné Eva Quintas, directrice d’ARTENSO, en clôture de l’événement. 

Ces récits d’expériences ont montré que le succès d’une résidence artistique repose sur une implication humaine forte de toutes les parties.

S’ADAPTER AUX BESOINS DES ARTISTES : LA RÉSIDENCE COMME INCUBATEUR

Un autre enjeu mis en évidence par les panélistes était celui de la nécessité d’adapter les modalités d’accueil pour qu’elles soient en adéquation avec la démarche et les besoins des artistes, et non avec des livrables précis. À ce propos, Marcelle Dubois, cofondatrice et directrice artistique du Théâtre Aux Écuries, a insisté sur la volonté de son organisme de placer l’artiste au centre du dispositif résidentiel. Elle a également soulevé des formes alternatives d’accompagnement et de mentorat. À titre d’exemple, signalons la formule de consultations spontanées Bonjour-Théâtre, qui a connu un vif succès. De son côté, Michael Toppings, directeur général et artistique au MAI, a revendiqué l’importance de mettre à la disposition de la communauté artistique des programmes, des ressources et des espaces ; perspective solidaire qui s’impose plus que jamais en ces temps de précarité pour les artistes des arts vivants particulièrement. La pertinence d’allouer une « période d’errance » au début du processus de la résidence a également été soulignée par Éric Desmarais. Exercice salutaire pour la pensée et la créativité, cette phase a pour but de permettre aux idées de flotter, de se poser doucement, sans en être dirigées vers la réalisation d’un projet à tout prix. 

François Quévillon, résidence Interface : art/science
Du 4 novembre au 23 novembre 2018, l’artiste a présenté les résultats de sa résidence sous la forme d’un bétalab intitulé Conduite algorithmique.
Photo : Tanya St-Pierre, courtoisie de Sporobole

ÉLOGE DU TEMPS LONG ET DE LA COLLABORATION

Devant la multiplicité des formats et des approches qui ont été évoquées lors du colloque se dégage un constat commun : l’importance de prendre en compte la temporalité de la résidence en fonction des objectifs et attentes des différentes personnes impliquées. Pour que ces résidences puissent se déployer pleinement et porter leurs fruits, il importe donc « de se donner le temps » ; mot d’ordre énoncé durant les notes conclusives par Sylvain Martet, responsable de la recherche à ARTENSO. Qu’il s’agisse de résidences sur le temps long, ou du temps de préparation et d’accompagnement conséquent, cet impératif apparaît ainsi valable autant pour les artistes, les organismes subventionnaires que pour l’ensemble des intermédiaires.

Ces deux jours d’échanges et de réflexion ont par ailleurs permis de mettre en lumière l’importance du travail collectif, que ce soit dans la conception, le développement ou l’évaluation des résidences artistiques. Le colloque L’art en résidence pose un premier jalon d’un programme plus vaste de recherche et de diffusion sur les résidences artistiques qui vise à faire place aux voix des milieux de pratique et des artistes aux côtés de gestionnaires et de chercheurs et chercheuses. À en juger par l’enthousiasme démontré par les personnes ayant participé à l’événement, cet appel à la collaboration semble avoir été entendu haut et fort.


Cet article est présenté en partenariat avec ARTENSO. Cliquez ici pour visionner la captation du 7 mai 2021.