Des fondations hospitalières collectionnent et exposent des œuvres d’art pour le mieux-être des malades, des employés et des visiteurs. La Fondation de l’art pour la guérison, un organisme sans but lucratif, les encourage et agit comme intermédiaire entre le milieu des arts visuels et celui des hôpitaux. Entrevue avec les initiateurs de cette démarche, MM. Earl Pinchuk et Gary Blair.

Les institutions publiques vouées à l’enseignement ou à la santé sont des lieux très fréquentés et disposent de grands espaces. Il est donc pertinent d’y accrocher des œuvres qui pourront être vues par un large public tandis que les confier aux musées mène à un entreposage qui ne permet de les exposer que trop rarement, une préoccupation qui était partagée par les frères Goncourt1. De plus, une telle démarche dans un hôpital revêt une fonction thérapeutique. L’anxiété qui accompagne les moments d’attente ou d’hospitalisation ne peut être que soulagée par la fréquentation d’œuvres d’art. L’art accompagne ainsi les étapes les plus éprouvantes de la vie.

Plusieurs hôpitaux et fondations hospitalières sont intéressés à recevoir des dons et à exposer des œuvres, mais manquent d’expertise. La Fondation de l’art pour la guérison offre ses services. Voici brièvement l’histoire, les objectifs et les réalisations de cette entreprise d’après ses fondateurs.

Jean-Luc Malo Comment et quand est née la Fondation de l’art pour la guérison ?

Earl Pinchuk – En 2001, j’ai voulu profiter d’un congé sabbatique pour ouvrir une galerie d’art. À la même période, Gary Blair et moi visitions une amie hospitalisée. Nous avons constaté que l’environnement visuel de l’hôpital était sombre et triste ; de leur côté, les ateliers d’artistes et les galeries que nous fréquentions disposaient d’un large inventaire d’œuvres d’art, cachées hélas le plus souvent dans des réserves. Au lieu d’ouvrir une galerie, nous avons fondé, en février 2002, un organisme destiné à rapprocher les arts visuels des hôpitaux.

Quel est le rôle de votre fondation ?

Nous agissons comme intermédiaires entre les donateurs et les hôpitaux, mais nous ne sollicitons ni les galeries ni les artistes. Notre réputation a pris quelques années à se bâtir, mais le bouche à oreille a créé un engouement. Nous sommes des consultants auprès des hôpitaux pour suggérer des orientations qui tiennent compte de leur vocation. Chaque partenariat est différent et unique. Nous aidons aussi les institutions à valoriser leurs collections par la publication de catalogues, l’édition de cartes reproduisant des œuvres ou des visites guidées.

Quels sont les hôpitaux parti­­ci­pants et quel est le nombre approximatif d’œuvres dans chacun d’eux ?

La Fondation a installé près de huit mille œuvres dans cinquante-quatre établissements de santé au Québec, en Ontario, à Terre-Neuve-et-Labrador, au Manitoba et en Colombie-Britannique. À Montréal : mille œuvres au Centre gériatrique Donald Berman Maimonides, six cents au CUSM, quatre cent soixante à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont et trois cents au CHUM 2.

Qui sont vos interlocuteurs : les fondations des hôpitaux ou les hôpitaux eux-mêmes ?

Comme il s’agit de dons, la fondation de chaque établissement est le premier interlocuteur ; le dialogue débute ensuite avec l’hôpital. Notre fondation encourage la formation d’un comité permanent de l’art dans chaque institution.

Est-ce que vous privilégiez certaines œuvres ?

Nos installations comportent des exemples de tous les médiums. Par contre, les sculptures sont beaucoup plus difficiles à placer à cause du manque d’espace. Pour la sécurité des œuvres, les encadrements sont vissés aux murs. Les œuvres sur papier sont idéales, puisqu’elles peuvent être facilement protégées par une vitre.

Est-ce que vous ciblez certains milieux, par exemple les hôpitaux de soins prolongés, plutôt que des hôpitaux généraux ? Choisissez-vous certaines unités de soins ?

Les hôpitaux ou les unités de soins où sont traités les malades dont l’état est le plus grave sont priorisés. Nous souhaitons que les œuvres soient exposées dans l’intention principale d’être vues par les patients pour qu’ils y trouvent du réconfort.

Y a-t-il une assurance de péren­nité de l’accrochage ? Comment être sûr que les œuvres resteront dans leur milieu et qu’elles seront entretenues, cataloguées périodiquement et protégées ?

Voilà un point névralgique. Bien sûr, le donateur s’informe le plus souvent du devenir de l’œuvre qu’il a offerte. Les comités permanents de l’art dans les hôpitaux ont pour rôle d’agir comme dépositaires de la mémoire, et même comme chiens de garde. De plus, répertorier les œuvres périodiquement représente un moyen de vérifier qu’elles sont toujours exposées et qu’elles demeurent en bon état.

Au terme de ce dialogue, on peut se poser d’autres questions auxquelles l’avenir répondra, favorablement nous l’espérons. Y aura-t-il spécialisation de certains lieux pour certains artistes ? Proposera-t-on une rotation d’accrochage dans le cas de riches collections ? Les institutions d’enseignement s’y intéresseront-elles à leur tour ? On peut formuler le souhait que l’hôpital devienne un lieu culturel au plein sens du terme où la musique, la danse et les arts visuels contribuent au projet vital de la santé. Les intentions affichées du CHUM le laissent présager3

(1) « Ma volonté est que mes dessins, mes estampes, mes bibelots, mes livres, enfin les choses d’art qui ont fait le bonheur de ma vie, n’aient pas la froide tombe d’un musée et le regard bête du passant indifférent, et je demande qu’elles soient toutes éparpillées sous les coups de marteaux du commissaire priseur et que la jouissance que m’a procurée l’acquisition de chacune d’elles soit redonnée, pour chacune d’elles, à un héritier de mes goûts. » Edmond De Goncourt

(2) Voir la liste complète des établissements sur le site Internet www.fondationdelartpourlaguerison.org

(3) Voir la nouvelle du 26 juin 2013, Deux nouveaux outils pour favoriser les liens entre la culture et la santé, à l’adresse www.chumontreal.qc.ca/salle-de-presse/nouvelles-du-chum