David Burdeny. L’intemporel contemporain
Dans les images de David Burdeny, ciel et mer se confondent.
L’eau est l’égérie première de l’artiste. Cet attrait est curieux, car le photographe, aujourd’hui établi à Vancouver, a grandi dans les Prairies, submergé par les champs et la terre plutôt que par les lacs et les rivières. Il passe néanmoins les étés de son enfance au bord de la mer, préférant la planche de surf au tracteur. Sa fascination pour l’eau le guide d’un océan à l’autre, des parcs à huîtres aux sillages des icebergs, en passant par les villes portuaires, avec une prédilection pour Venise.
La ville lagunaire ne se trouve pas par hasard au sein de l’ensemble d’œuvres de Burdeny. Car Venise, au-delà de son identité marine, demeure d’abord et avant tout une ville. Il faut savoir qu’avant d’embrasser sa carrière de photographe, David Burdeny a exercé la profession d’architecte pendant une dizaine d’années. Ses compositions structurées, les perspectives fortement ancrées ainsi que la thématique de la ville trahissent son penchant pour les éléments bâtis. Ses paysages urbains, toutefois, sont inhabités. Ainsi, dans Acqua Alta, San Marco, Venice, Italy (2010), pas l’ombre d’un touriste ni d’un pigeon. Venise a tout d’une ville fantôme, telle l’Atlantide qui aurait émergé de son mystérieux refuge sous-marin. Qu’il s’agisse de New York, de Shanghai ou de Tokyo, les mégapoles qu’il photographie sont toutes désertées. Le panorama nocturne de Los Angeles, California, USA (2008) n’est pas sans rappeler le Los Angeles dystopique de Ridley Scott dans Blade Runner (1982). Au-dessus de la ville flotte une atmosphère étrange, l’agglomération densément peuplée ne laissant deviner aucune trace de vie humaine.
En raison du temps d’exposition prolongé, les quelques figures humaines qui se trouvent dans les photographies de Burdeny s’estompent. Ainsi, dans Sweepers, West Lake, Hangzhou, China (2011), les deux balayeurs se transforment en spectres qui flottent entre les arbres. Dans ce jardin aux couleurs automnales, leurs portraits vaporeux soulignent le passage de la vie comme celui des saisons. C’est dans la série Traverse que la présence humaine est la plus décelable, bien qu’elle soit secondaire et fantomatique. L’humain, en effet, n’est que prétexte au paysage marin. Clin d’œil à Caspar David Friedrich, Man Watching Surf, Maui, Hawaii (2012) met en lumière la nature plutôt que l’individu, alors que le peintre romantique allemand avait fait l’inverse, plaçant l’homme en noir au centre de la composition.
Quand il était architecte, Burdeny ne pouvait exercer sa passion pour la photographie qu’avant ou qu’après ses heures de bureau. Cette contrainte l’a amené à découvrir ses moments de prédilection pour ses prises de vue : l’aube paisible et silencieuse, ainsi que le crépuscule bleuté et magique, dénués de présence humaine. Dans Thin Dock, West Lake, Hangzhou, China (2011), l’atmosphère est brumeuse, soyeuse et feutrée. Aube ou brunante ? Aucune importance, car c’est dans l’ambiguïté temporelle que la sensibilité de Burdeny se déploie le mieux. L’ambiguïté est également spatiale, car sans la lisière d’arbres à l’arrière-plan, il serait difficile de distinguer la surface de l’eau immobile du ciel uniforme, dans un camaïeu bleuté.
Les photographies de David Burdeny racontent la beauté juste d’une nature discrète et silencieuse. Point de tsunamis, ni d’avalanches, ni de volcans en éruption. À l’exception de quelques vagues plus houleuses, le photographe exprime le charme du paysage tranquille, voire ordinaire. Les clichés, réalisés tout en finesse, mais avec grande précision, parviennent à rendre spectaculaire même la surface de l’eau inerte. Influencé par des maîtres de la photographie du paysage tels que Hiroshi Sugimoto et Michael Kenna, Burdeny se distingue par son penchant pour l’abstraction. La série Drift représente différents panoramas océaniques à travers le passage du temps. Du Japon à la France, en passant par le Canada et la Belgique, le paysage devient complètement flou et tient davantage de la peinture abstraite d’un Mark Rothko que de la photographie documentaire. Entre ciel et terre, jour et nuit, inertie et mouvement, intemporel et contemporain, l’image de Burdeny se tient en équilibre précaire. C’est de cet équilibre qu’elle tire sa séduction.