Ces expositions et la publication correspondante1 revisitaient un tournant dans l’art d’Irene Whittome : celui où l’œuvre en vint à s’identifier à l’espace de sa création, de sa commercialisation et de son institutionnalisation.

Room 901 fut d’abord déployée en novembre 1982 dans les lieux correspondant à ces trois moments respectivement : le studio éponyme de la rue Saint-Alexandre occupé durant quatre ans, la Galerie Yajima représentant l’artiste et le Musée d’art contemporain de Montréal, accueillant dans un monte-charge la projection du film 901 / le 4 juillet 1982. La chronocinématographie introduisait le temps dans cet espace à même les variations granuleuses de la lumière du jour. Elle agissait ainsi comme les pigments photosensibles aux teintes changeantes des Encaustics, produits à partir de la fin des années 1970 en les mêlant à la térébenthine dans une cire dont elle enduisait des objets trouvés ou confectionnés : portes, armoires et autres parallélépipèdes d’un mobilier de bureau qu’on eût dit momifié à Pompéi.

Leçons de l’espace

Whittome donnait aux Encaustics la patine des siècles en couches patiemment appliquées au fil des jours. De même, une fois son atelier vide repeint en blanc comme pour apprêter une toile à quatre dimensions – en comptant celle du temps –, elle y documenta son œuvre en 1 500 clichés au long des 600 jours de ses états successifs, au gré des modifications apportées à l’agencement des quelques éléments laissés dans ce cadre : principalement des formes quadrangulaires peintes, effacées et repeintes sur un mur en variations d’un motif cruciforme, ainsi qu’une toile carrée étendue sur le plancher comme support d’une poussière blanche balafrée de runes, promenée obliquement en contrepoint perspectif.

La transposition dans l’espace concret de tels rappels d’une abstraction suprématiste était soulignée par la grande plateforme blanche placée de biais sur le sol face aux 24 clichés sélectionnés, en contrebas de la projection du film sur le mur dans l’espace du centre Vox. Déjà en 2012, celui-ci avait d’ailleurs rouvert ses portes au 2-22 avec le recyclage ironique de Malevitch par le groupe Laibach de la rétro-avant-garde slovène des années 1980. Mais les perspectives métaphysiques de Chirico venaient également à l’esprit devant les hautes fenêtres en arcades scandant un mur de briques. Room 901 renvoie en ceci à son prototype Classroom 208, puisqu’on en retrouve l’équivalent dans cette première intervention in situ d’Irene Whittome au P.S.1, principal centre d’art contemporain de New York, établi dans une ancienne école primaire dont elle avait récupéré du mobilier afin d’évoquer cette origine à même l’espace d’une classe de décembre 1979 à janvier 1980. Vox consacrait une salle secondaire à la leçon qu’elle en tira, montant en même temps Salle de classe dans son propre studio, puis montrant cette installation à sa première rétrospective au Musée des beaux-arts de Montréal.

Tunnels du temps

Une fois son studio dégagé par cette expo­sition à l’été 1980, Whittome entreprit d’y faire le vide propice à la révélation de son espace tel qu’inscrit dans le temps par les traces du changement, non seulement sur place, mais sous la forme d’une documentation – elle-même simultanément mise à distance. Donnant corps à l’alternance d’absence et de présence, la réactivation de ce corpus et de son contexte en d’autres temps et d’autres lieux a eu son précédent dans celle de Room 901 à l’Alberta College of Art à Calgary en 1983, avant un nouveau trio d’expositions à Montréal trente ans plus tard. L’artiste fait donc appel tant à la mémoire qui compare qu’à la matérialité d’un médium par lequel la constitution du monde s’impose à l’esprit à même cet écart.

Ceci vaut notamment pour les boîtes- maquettes qui, chez Simon Blais, voisinent avec des encaustiques sculpturales déjà présentées en 1980, autour de Croix blanche et Croix noire. Elles se présentent comme des tableaux tridimensionnels habitant l’épaisseur vide de leur cadre vitré, aménagée en pièce modulée de murs et de colonnes comme Room 901. L’ombre portée du cadre superpose ses angles en profondeur à ceux des formes géométriques planes peintes sur les murs de ces studios miniatures, où l’espace donné en atelier télescope sa mise à part telle qu’elle est effectuée par l’art. La photographie du studio réel, servant parfois de fond aux revêtements plâtreux et aux structures en bois, intègre à l’art l’instant et l’endroit de sa mise en œuvre, en tant que trace de leur retrait. Leur appréhension ici et maintenant comme perte et don à la fois confère toute sa puissance au motif de la croix, à l’intersection d’espaces-temps différents entrant en résonance dans le continuum entre création et contemplation : une homologie entre l’art et la vie assumée par Whittome au confluent d’événements déterminants de sa carrière. 

(1) Marie Josée Jean (dir.), Irene F. Whittome. Room 901. Textes d’Ève-Lyne Beaudry, Vincent Bonin, Marie J. Jean et Claudine Roger. Montréal, Éditions du Passage, 2013, 184 pages, 24,10 x 24,10 cm, couverture rigide, bilingue, 49,95 $.