Henry Saxe. Jeu dans l’espace et le temps sculptural
La Galerie d’Arts Contemporains présente Mon retour, exposition individuelle du sculpteur et peintre Henry Saxe. Représentative d’une évolution artistique des quinze dernières années, l’exposition regroupe une trentaine d’œuvres : tableaux sur aluminium, dessins et sculptures en aluminium, dont plusieurs sont récentes. Retour donc d’un sculpteur majeur dans sa ville natale, après 19 ans d’absence.
Lors de la rétrospective que le Musée d’art contemporain de Montréal a consacrée à Henry Saxe en 1994, Réal Lussier, alors conservateur de ce musée, a rappelé combien l’apport de cet artiste est considérable1. Henry Saxe est lauréat du Prix Paul-Émile Borduas (1994). Il a participé aux remises en question esthétiques lors de la Révolution tranquille, questionnant pour sa part les limites de l’œuvre dans l’espace. Personnage singulier, Henry Saxe apparaît en marge. Il prouve qu’il est animé d’une capacité de renouvellement étonnante.
Dans son travail qui est lié au mouvement, à la tension et à l’équilibre, Henry Saxe interroge le rapport au temps que définissent l’œuvre et ses composantes, d’un point de vue mémoriel. Il explique : « Une œuvre articulée est comme une mémoire du passé. Une mémoire qui s’inscrit dans une pièce, dans sa disposition ; la mémoire est présente dans ce que vous voyez, dans les mêmes motifs, les mêmes entailles, en espérant que ce que vous voyez est ce que j’ai vu, moi qui l’ai créée. La reconstruction mentale d’une œuvre, ce sont des moments d’instantanés visuels. »
Pour Stanley Borenstein, directeur de la Galerie d’Arts Contemporains : « Plus près du modernisme, Henry Saxe a pris le chemin des sculpteurs américains des années 1960, mais a tracé sa propre trajectoire. C’est un sculpteur qui ne cesse d’évoluer dans son art. Il ne participe d’aucun mouvement en particulier. Il fait ses propres choses, c’est un loup solitaire. » Son approche formelle reposant sur une volonté de recherche demeure toujours pertinente aujourd’hui.
Le champ d’expérimentation d’Henry Saxe couvre le potentiel dynamique de la couleur et de la lumière. L’artiste constate qu’il y a une similarité du rôle déterminant de la couleur dans un tableau et dans un dessin, faisant de chaque partie de l’œuvre une unité en soi. Il met en tension la dimension de l’œuvre et la matière ; elle se déploie ainsi entre équilibre et déséquilibre, entre lumière et ombre, respectivement dans l’articulation de sculptures modulaires et dans des masses de pigments en opposition. On le voit bien dans ses premières œuvres picturales, mais s’il a apprécié l’acier pour sa masse et sa densité (série Instruments), l’aluminium le séduit davantage aujourd’hui par sa légèreté, sa maniabilité et sa propension à réfléchir la lumière sous d’infimes variations, selon que la surface est polie, gravée, coupée ou martelée. Il donne pour exemples Le fantôme (2012) ou Fourfoil (2010), sculpture dont le chromatisme fait mieux percevoir le mouvement.
D’esprit constructiviste
La notion d’assemblage absorbe totalement Henry Saxe. Sans doute a-t-il tenté de peindre « plat », comme Tousignant, avoue-t-il, mais il y a renoncé et, au milieu des années 1960, a abandonné la peinture pour la sculpture. Mais peu importe le médium, reste qu’une œuvre comme Parc Belmont (2012) est une structure tridimensionnelle en mouvement.
D’où lui vient son sens inné de la mécanique ? Il a adoré l’art « d’homme de métier » de son mentor Ulysse Comtois, l’un des premiers artistes au Canada à expérimenter la sculpture en métal soudé. Henry Saxe, pour sa part, résout l’équation entre les dimensions, les masses, les volumes et les lignes. Il crée des rapports entre les surfaces et les limites « intérieur-extérieur » de l’œuvre dans l’espace physique. « Des constructivistes, comme Tatline, voire Rozanova, ont fait les mêmes observations », fait-il remarquer.
Dans ses dessins récents, Borromean ring II, III (2013), Henry Saxe reprend à son compte le problème mathématique des anneaux borroméens, un entrelacs de trois cercles qui ne peuvent être détachés les uns des autres, même en les déformant mais tels que la suppression de n’importe quel cercle libère les deux autres. « Les anneaux borroméens sont un casse-tête entre les mathématiques, la science et l’art. J’ai besoin d’analyser, de découvrir leur fonctionnement. Je pousse toujours un concept à l’extrême, puis je le modifie. Trouver des façons de modifier, c’est ce qui m’intéresse », conclut Henry Saxe.
S’ajoute à l’expérience mécanique l’élément de hasard et de proximité entre la sphère et celui qui la manipule. Ce sont là les « possibilités cachées » chères à l’artiste qui invite à entrer de plain-pied dans la réalité de l’œuvre : « La relation avec la sphère est immédiate. Vous la bougez ou pas. Vous savez que vous pouvez la manipuler, c’est ce qui ajoute à l’intensité de l’œuvre. C’est ça le potentiel de changement imaginé. Ces Borromean gymnastics sont de vrais animaux domestiques ! Je compte les faire plus gros et plus légers. »
(1) Catalogue de l’exposition Rétrospective Henry Saxe : œuvres de 1960 à 1963, Réal Lussier, Musée d’art contemporain de Montréal, 1994.
HENRY SAXE MON RETOUR
Galerie d’Arts Contemporains, Montréal
Du 30 octobre au 30 novembre 2013