Étonnant ! On croyait l’art un peu énigmatique d’Irene Whittome dévolu au blanc. Or, c’est avec une série haute en couleur que s’amorce son œuvre.

Ses peintures de jeunesse font se croiser l’homme et la bête. Chargée d’émotions, leur facture est résolument expressionniste. Entre 1963 et 1967, alors qu’elle étudie avec Jack Shadbolt à la Vancouver School of Art dans sa ville natale, Irene Whittome réalise des œuvres sur papier et des peintures grand format. Elles sont demeurées inédites avant d’être exposées au centre d’art Occurrence.

Intitulée Bestiaire, cette série fait défiler chiens, ânes, insectes, singes à la fourrure vigoureusement brossée aux couleurs quasi psychédéliques, créatures imaginaires et fantastiques.

Tranchant sur un fond sombre, parfois en grand format, les têtes des animaux ont des visages humains et adoptent des attitudes proches du portrait bien qu’elles se révèlent de manière violente. Gestuelle, la touche est frénétique. Les couleurs criardes s’entremêlent : jaune et vert acidulé, rose-violet choquant. Les corps se prolongent de griffes ou de tentacules. Ces bêtes s’animent d’une présence immédiate. Ici rugit une véhémence tonitruante. L’hybridité de ces figures renvoie à la représentation du monstre. Proches du pop, presque triviales, les couleurs vibrent et sifflent. Ces formes agglu­tinées, greffées, mi-humaines, mi-animalières racontent des histoires troubles de métamorphoses. Comme un retour à l’instinct, animalité et sauvagerie nourrissent l’idéal d’une genèse, l’appel à une force originelle. Quelque chose de l’archétype transparaît. En même temps, ce Bestiaire, comme l’explique Irene Whittome, tenait beaucoup de l’autoportrait1.

Cette série est si intense que l’on conçoit facilement pourquoi Whittome introduit par la suite, comme un contrepoint, le blanc. Baissant le « ton », elle se place comme à distance face à ces projections spontanées si marquées du poids de la couleur.

Dans l’œuvre de Whittome, la rigueur dépouillée et une fébrilité instinctuelle à la limite de l’expressionnisme ne cessent de se combattre. Le bestiaire l’indique. Ces pôles conflictuels s’inscrivent dès le départ chez l’artiste. Dévoilant ce Bestiaire, l’exposition aide à comprendre comment se développent et se renouvellent, dans son art, les forces créatrices.

Après des années d’apprentissage de la gravure, technique si importante pour la suite, à l’atelier Hayter à Paris de 1965 à 1968, une lente épuration aboutit durant les années 1970 aux œuvres du Musée blanc, installation présentée dans sa première version à Montréal à la Galerie Espace 5 en 1975. L’exposition marque la scène artistique de l’époque.

Le musée est ramené à un acte intime. Avec le Musée blanc, les interventions procèdent désormais par strates et par couches. Le geste et sa répétition que privilégie désormais l’artiste exorcisent la part qui, dans le Bestiaire, revenait à l’autoportrait. Certaines hantises et angoisses dont témoignaient les œuvres de la série Bestiaire vont se déplacer.

Les couleurs expressionnistes des œuvres de jeunesse seront comme arrachées par ce blanc qui envahit sa nouvelle production.

Ce n’est plus le vivant qui est mis en exergue, mais bien des traces incertaines. Dans le Musée blanc, papier moulé, cordes tressés et bandelettes momifient des objets trouvés et placés dans des casiers. L’expérience du vécu se fige. Le blanc évoque un abîme immaculé où se résolvent, après le trop-plein de la couleur, les tensions, les torsions, l’acharnement compulsif à ficeler, à nouer, à assembler, à ligaturer cordes et objets ou, plus tard, à masquer les surfaces.

Emmaillotées sous leur crypte, mises en boîte, recouvertes de cire, les formes créées par Whittome apparaissent dès lors comme des énigmes qui résisteraient face à leur désir de se révéler au grand jour. Sous le blanc omni­présent, cette inaccessibilité nous aveugle et nous imprègne. Opacifiant de cire les supports, les abritant à l’exemple du cocon ou de la carapace, à partir du Musée blanc, Whittome dans son œuvre va se balancer entre visible et invisible, entre ce qui est enfoui et ce que l’artiste donne à voir. 

(1) On retrouve par la suite et sous d’autres formes le thème de l’animal, et notamment la tortue, dans le travail d’Irene Whittome.

IRENE WHITTOME BESTIAIRE
Occurrence, espace d’art et d’essai contemporain, Montréal
Du 19 janvier au 2 mars 2013