Originaire de Qamani’tuaq, aussi connu sous le nom de Baker Lake, au Nunavut, Janet Nungnik crée des tentures murales depuis la fin des années 1970. Initiée par sa mère, Martha Tiktak Anautalik, une artiste respectée, c’est surtout en observant et en aidant Jessie Oonark, alors aînée, qu’elle fait ses débuts dans le monde de l’art. Portrait d’une femme qui s’inspire du territoire, de son enfance semi-nomade et de son peuple pour créer des œuvres vibrantes de couleurs.

À ce temps-ci de l’année, Janet Nungnik a un horaire chargé. « Ici, on me surnomme la femme occupée, raconte l’artiste. Peu importe, j’aime aider les gens. » Au moment de la joindre, elle se préparait pour l’hiver. « Dans l’immédiat, j’ai de la viande à hacher et à emballer. » Bien qu’elle ait d’autres priorités actuellement, l’art n’est jamais loin. « Je suis surchargée de matériaux d’art, mes amis n’arrêtent pas de venir m’en porter. »

Janet Nungnik, Titre de l’oeuvre (2003) Feutre de laine et fil de broderie sur laine 45,72 x 58,42 cm Courtoisie de la Marion Scott Gallery
Janet Nungnik, So Sure of Himself (2003), feutre de laine et fil de broderie sur laine, 45, 72 x 58,42 cm. Courtoisie de la Marion Scott Gallery

Janet Nungnik a été initiée à l’art à un jeune âge par sa mère, Martha Tiktak Anautalik. « La première fois que j’ai vu une tenture murale, j’étais excitée, se rappelle l’artiste. À l’époque, mes parents ne me laissaient pas coudre, alors j’observais ma mère. C’était tellement beau et ça avait l’air si facile. » Son premier essai n’a pas été concluant. Elle n’a pas abandonné pour autant. Aux côtés de sa mère, elle a appris les rudiments et surtout « à apprécier la couture », spécifie l’artiste. Puis, elle a pu parfaire son apprentissage en regardant Jessie Oonark travailler.

Cette dernière, créatrice de renommée internationale, est entre autres connue comme étant la première à avoir créé une œuvre sur tissus à Qamani’tuaq dans les années 1970. Une cinquantaine de femmes s’adonnaient alors à la couture. Elles étaient encouragées par la coopérative qui, en 1971, avait ouvert un atelier spécialisé dans cette forme d’art et importé des matériaux leur permettant de s’exercer. L’initiative, portée par Jack et Sheila Butler, visait à développer une nouvelle forme d’économie pour cette communauté du Nunavut1.

La couture depuis des générations

Les femmes inuit n’en étaient pas à leur première expérience en couture. Leur rôle de couturière a toujours été crucial au sein de leur groupe. « À l’époque, les femmes avaient la tâche de produire des vêtements, explique la conservatrice d’art inuit de la Winnipeg Art Gallery, Darlene Coward Wight. Elles cousaient tout le temps. C’était une question de survie. » L’apprentissage par observation était aussi la norme. « On attendait des petites filles qu’elles regardent leur mère travailler. Elles devaient bien maîtriser les points de couture pour que, par exemple, l’air froid n’entre pas dans les vêtements. » Pour s’exercer, les fillettes fabriquaient des vêtements pour leurs poupées.

Une transmission de connaissances qui s’observe à un autre niveau dans le travail de Nungnik. L’artiste a recours à ses souvenirs pour créer ses œuvres murales, laissant ainsi des traces d’un mode de vie traditionnel.

Née en 1954, dans un camp à l’ouest de la baie d’Hudson, elle a passé son enfance à parcourir la toundra avec sa famille2. « J’aime l’art parce qu’il me permet de voir ce qu’il y a de beau dans la nature et chez les gens », explique-t-elle.

Dans Northern Lights (Inside the Iglu at Night) (2002), l’artiste plonge le spectateur dans cet univers. Il peut apercevoir un iglu (igloo) dans lequel sont couchés des gens, des chiens protecteurs, des qamutiik (traîneaux), des kamiit (bottes traditionnelles) et une couverture accrochée pour sécher à l’air frais. Nungnik raconte également dans son œuvre certaines croyances, celles-ci disant que pour appeler les aurores boréales il suffit de siffler, mais que si elles sont trop proches, il faut frotter l’arrière de ses doigts pour les repousser3.

Portrait de Janet Nungnik. Photo : Jeffrey Boone.
Portrait de Janet Nungnik. Photo : Jeffrey Boone


C’est ce caractère unique qui avait frappé le galeriste Robert Kardosh la première fois qu’il a remarqué le travail de l’artiste au début des années 2000. Sa mère, Judy Kardosh – alors propriétaire de la Marion Scott Gallery, à Vancouver – avait organisé une exposition de groupe présentant des textiles provenant de Baker Lake. « C’était très différent des autres artistes exposés étant donné son caractère autobiographique, se souvient le galeriste. Nungnik racontait des histoires personnelles, ce qui était rare à l’époque. Sa technique aussi n’était pas comme celle des autres ; elle intégrait des matériaux non conventionnels. »

Des matériaux comme de la fourrure et des perles sont juxtaposés au feutre dans l’œuvre Thelon River (2000). Le caractère coloré des tentures caractérise également le travail de l’artiste. Cette dernière utilise l’aiguille tel un pinceau qui colore une toile. Avec le fil, elle peint la laine. Dans The Eagle’s Shadow (2018), elle sculpte des montagnes et trace le rivage avec une palette de couleurs vives auxquelles les femmes avant elle n’auraient pas eu accès, selon Wight.

Portrait de Janet Nungnik. Photo : Jeffrey Boone.
Portrait de Janet Nungnik. Photo : Jeffrey Boone


Des mots pour complémenter les images

Son travail textile va cependant au-delà des images ; il intègre aussi les mots. Pour chaque œuvre, l’artiste écrit un poème donnant des indications sur la représentation du travail et ajoutant une couche sémantique aux tentures.

En conséquence, son rythme de production est plutôt lent. En effet, entre les deux expositions présentées à la Marion Scott Gallery, une quinzaine d’années se sont déroulées. « Ma mère a toujours voulu faire une exposition entièrement dédiée à Janet Nungnik, note Robert Kardosh, mais la vie suivant son cours, elle n’a jamais pu l’organiser. » C’est lorsque sa mère est décédée que le galeriste s’est replongé dans le travail de l’artiste. Il a repris contact avec elle, puis l’exposition a finalement vu le jour en 2019 – d’abord à la Marion Scott Gallery, et ensuite, sensiblement dans le même format, au McMichael Canadian Art Collection, près de Toronto.

Ses œuvres sont complétées au compte-goutte, mais sa plus récente production laisse présager un tournant. Exposée à la foire Art Toronto en 2019, Global Warming (2019) ouvre la porte vers une nouvelle thématique abordée par l’artiste, soit le réchauffement climatique, phénomène auquel les Inuit sont durement confrontés depuis des décennies4

1  Louis-Edmond Hamelin, « La chasse inuite d’après une tenture à figurines », Ethnologies, vol. 24, no 1 (2002), p. 275-290.

2  Inuit Art Foundation, « Janet Nungnik, Long Biography », 30 septembre 2021, https://www.inuitartfoundation.org/profiles/artist/Janet-Nungnik/bio-citations.

3  Marion Scott Gallery, Janet Nungnik – The Eagle’s Shadow, Vimeo, 9 avril 2019, 6 min 34 s, https://marion scottgallery.com/2019/04/09/janet_nungnik_video/.

4  Sheila Watt-Cloutier, Le droit au froid : le combat d’une femme pour protéger sa culture, l’Arctique et notre planète (Montréal : Écosociété, 2019), 356 p.