Quoique le dessin soit souvent considéré comme une étape préparatoire qui mène à la création d’un tableau unique ou d’un plan architectural, il constitue aussi une œuvre d’art en soi. C’est le cas justement des travaux graphiques de John A. Schweitzer, artiste bien connu aussi pour ses collages.

Pour parler de ses dessins, John A. Schweitzer a volontiers recours à des analogies musicales. Ses dessins représentent l’étape andante de sa création, ils précèdent l’étape allegro de ses collages. Les rapprochements certes métapho­riques que l’artiste se permet avec le langage musical pour décrire les moments de son inspiration ne sont pas étonnants puisque la musique, sous forme de partitions, de pochettes de disques, de reproduction d’instruments, constitue le soubassement dans la construction de la plupart de ses œuvres. Jusqu’ici, aussi bien dans ses collages que dans ses dessins, John Schweitzer a élaboré son espace selon un mode qui régit la tension entre ses formes et ses lignes. Mais voici qu’un changement est survenu. Ses récentes œuvres graphiques en témoignent.

Du tachisme monochrome au push & pull hofmannien

Du côté pictural, l’artiste s’ingénie à brouiller les pistes. À cette fin, il mêle dessins anciens et dessins récents. On le voit cependant aux prises avec des syntaxes formelles dont il s’approprie les règles pour mieux les déjouer. Les œuvres de 1983 comme Discourse : Intrusive ramènent un vieux et classique dilemme : « Est-ce la ligne qui détient la primauté dans l’espace ou la forme colorée ? » Judicieuse question, car la ligne noire tant chérie par l’artiste dans la plupart de ses œuvres se fond presque à la tache monochrome. En outre, les cadres en bois sculpté que com­portent certaines de ces créations graphiques complètent en quelque sorte les compositions par l’addition d’une géométrie qui renvoie à l’œuvre elle-même.

En revanche, l’œuvre intitulée A Lyric for Northrop (1984), en se distinguant de la peinture, introduit finement l’idée du collage. À peine visible, il se manifeste par la présence d’une ligne verticale peinte en noir, glissant le long d’une coupure physique réalisée dans le papier ; elle se démarque de l’espace monochromatique bleu foncé par le biais du concept d’interstice, voire de déchirure, qui justifie le passage d’un mode linéaire à un autre plus tachiste. Bref, si dans les œuvres des années 1980, le collage est plus ou moins présent, dans celles des années 1990, il laisse place au monochrome tachiste comme en témoigne la série Platon et problèmes I, II, III, IV, où la ligne devient à peine reconnaissable mêlée qu’elle est au fond au point de s’y confondre.

Dans les années 2000, l’artiste insère un nouvel élément à ses tableaux : le papier millimétré ou le papier ligné provenant de pages d’un ancien cahier d’écolier où le pli vertical conservé tel quel au milieu de la feuille la divise en deux, ponctué par les perforations des agrafes qui initialement en assemblaient les feuilles. Ce nouveau type d’élément graphique sert de fond aux tableaux. Ce papier rigoureusement fragmenté en petits carreaux renvoie au concept de grille tant prisé par les tenants d’un certain art moderne où l’artiste se fait architecte de l’espace bidimensionnel pour y asseoir l’idée d’un paysage urbain à peine esquissé ici et là par quelques traits tracés au fusain noir. Un autre élément caractérise les œuvres de cette période : la couleur travaillée en transparence et agencée dans les nuances du fini aquarelle.

Le langage dichotomique des couleurs primaires et secondaires provoque ainsi un effet de push & pull renforcé par le fond blanc de la feuille de papier, où la tension des deux taches de couleurs fait en sorte que l’une avance et que l’autre recule. La série Vallum Hadrianus : Études I, II, III, IV (2009) préfigure ce nouveau langage plus pictural que graphique. La ligne noire s’insinue avec plus de timidité, elle ose à peine apparaître : la voici plutôt en marge du plan chromatique. Les titres des œuvres, marqués d’une touche d’érudition, s’offrent comme une clé pour la lecture. Par exemple, le mur d’Hadrien matérialisé par les carreaux du papier millimétré prend valeur de barrière érigée entre le monde civilisé établi par l’Empire romain et les pays nordiques considérés comme barbares. Cependant, l’artiste fait délibérément acte de révisionnisme ou d’idéalisme en suggérant que les deux mondes cohabitent et se chevauchent selon les mêmes principes de civilité par le truchement des différentes taches colorées.

Carré blanc sur fond blanc : retour au suprématisme

Plus on avance dans le temps, plus l’espace s’épure et plus les lignes s’affinent, jusqu’à l’évacuation complète du plan chromatique. C’est le cas de l’œuvre maîtresse, Le Déluge. Tout y est blanc, excepté quelques lignes tracées au crayon noir, à peine visibles. Schweitzer élimine toute allusion colorée en réintroduisant le collage en tant qu’élément sculptural, remettant ainsi en question le caractère bidimensionnel propre à la construction des paysages architecturaux. Non seulement cette œuvre donne-t-elle un souffle nouveau au langage graphique de l’artiste grâce aux lignes arrondies, filiformes et fondues dans l’espace, mais elle sert aussi de point de transition avec les prochains collages, ceux de la série Les neiges de Ruskin, encore à l’étape de gestation. L’artiste juxtapose les deux types de papier, millimétré et ligné, auxquels il ajoute un papier translucide – élément de collage – destiné à créer une semi-opacité. Le diptyque qu’ils forment est encadré sous verre dans un boîtier. L’artiste a ajouté un papier translucide – élément de collage – destiné à créer une semi-opacité. Voici donc les prémisses d’une nouvelle écriture graphique.

À des degrés plus ou moins forts, le blanc a toujours été l’élément central dans les œuvres de John Schweitzer. Élément romantique du tableau, il lui confère un état non fini ; il est à la fois le fond primordial qui donne naissance à l’œuvre et le châssis du tableau. Finalement, le souhait de John A. Schweitzer est d’inviter le public à poser un regard critique sur ses compositions afin d’apporter la touche finale à son œuvre. 

JOHN A. SCHWEITZER – Dessins, rétrospective de 1983 à 2011
Hôtel Méridien Versailles
1808, rue Sherbrooke Ouest, Montréal
Tél. : 514 933-8111
Commissaire : Robin Keirstead Conservateur de la Galerie John A. Schweitzer de l’Université Western Ontario
De novembre 2011 à avril 2012, l’exposition, constituée de 28 œuvres, se tiendra à la galerie de l’Université Western Ontario.

Notes biographiques
Connu comme maître du collage depuis plus d’une trentaine d’années, honoré par de nombreux prix artistiques au Canada et à l’étranger, John A. Schweitzer est un artiste pluridisciplinaire dont les activités s’étendent à l’ensemble du monde des arts : collectionneur, galeriste, critique d’art, conservateur, philanthrope. À l’automne 2011, il a reçu un doctorat honorifique de l’Université Western Ontario.