Les secrets de Bernard-Alexandre Beullac
Quels secrets cachent les sculptures de Bernard-Alexandre Beullac ? La plupart se présentent comme des boîtes ou des coffrets qui ont l’apparence de petits meubles hissés sur de longues et minces pattes.
Si l’exposition qui les rassemble s’intitule Huis clos, c’est que les objets sont dotés de charnières et de verrous qui les maintiennent fermés. Ils paraissent exhiber et dissimuler une absence. Certes, le huis clos implique aussi la confrontation de personnages isolés du monde extérieur.
Forcément, de telles sculptures éveillent le désir d’en connaître le contenu. L’une d’elles comporte une cavité qui permettrait d’y glisser la tête, mais sa hauteur, comme celle des autres pièces, exige au moins des visiteurs qu’ils se dressent sur la pointe des pieds.
Sur l’une des sculptures, dont le coffre est recouvert de feuilles d’or, l’artiste a même laissé des marques de doigts. Ainsi, Bernard-Alexandre Beullac joue de la curiosité presque enfantine de découvrir ce qui est caché. En outre, la dorure de certaines ainsi que les formes se référant à l’architecture gothique confèrent aux œuvres une certaine préciosité. Les coffres, tout en se faisant gardiens d’un mystère, deviennent objets de fascination.
Bernard-Alexandre Beullac illustre le désir de percer le secret des œuvres par une certaine violence exercée sur la matière. C’est le cas, par exemple, de Coffret, qui a été entaillé à même le métal, comme s’il avait été forcé. Sur la déchirure ainsi provoquée, l’artiste a apposé deux fermoirs dorés. Or, ces éléments de quincaillerie font naître le désir chez le spectateur de poursuivre le geste commencé par l’artiste et d’ouvrir le boîtier. Mais celui-ci demeure scellé. Rien ne semble venir à bout de l’étanchéité de la matière. Dans cette œuvre, l’artiste fait formellement référence au Baiser de Brancusi. Les fermoirs agissent tels les bras de pierre, suggérant l’impossibilité de pénétrer l’intimité de l’œuvre. Tout comme Brancusi avait taillé l’image de deux êtres enlacés en un seul bloc de pierre, la sculpture de métal forme une unité refermée sur son propre mystère.
Pour les trois œuvres qui portent le nom de Retable, Bernard-Alexandre Beullac s’est inspiré des tableaux du Moyen Âge dont les panneaux pouvaient se déployer. À l’époque, leurs propriétaires profitaient des grandes occasions pour montrer l’intérieur de l’œuvre, plus fastueux. De la même manière, l’un des Retables était ouvert lors du vernissage. Recouvertes de feuilles d’or, à l’instar des sculptures médiévales ou inspirées des arcs ogivaux, ces œuvres arborent une certaine magnificence. Elles rappellent une époque où l’art était lié à un idéal du sublime. Cependant, à l’inverse des tableaux ancestraux, les trois sculptures ne renferment pas un objet plus précieux. La sculpture aux battants déployés ne s’ouvre au contraire que sur le vide. Béante, elle paraît exhiber sa propre futilité. Un deuxième retable, portant la mention Tête est quant à lui entaillé de manière à inciter le spectateur à passer sa tête à travers la cavité. La manière dont le bois est taillé ressemble à celle qu’aurait employée un animal pour y faire son nid. Mais une fois encore, rien n’est à découvrir, sinon le bois brûlé des battants intérieurs. Enfin, le coffret du troisième retable, intitulé Hermétique, est clos par les pattes mêmes qui le soutiennent. Longues tiges d’acier tailladées par l’artiste, elles affichent une certaine fragilité. Le sculpteur établit ainsi un contraste entre l’esthétisme majestueux du gothisme et les thèmes de l’hermétisme, de la fragilité et du non-sens que peut véhiculer l’art actuel.
Cette idée de non-sens est soulignée par les pattes qui donnent aux sculptures l’image de meubles, simulant une certaine utilité. Or, utiles, il n’en est rien ; pas plus qu’elles ne contiennent un objet quelconque à découvrir. Ainsi, la fascination laisserait place à la désillusion. Pour Bernard-Alexandre Beullac, ce jeu d’ambivalence lui permet d’interroger les notions de contenant et de contenu d’une œuvre : quel concept y a-t-il par-delà la forme et l’expression sensible ? L’art n’est-il rien de plus que la matière tangible qui le constitue ?
Accotée à l’un des murs de la galerie, une petite sculpture laisse à son tour planer le mystère. Constituée de deux fermoirs de portes et d’un cube sans fond en béton, cette œuvre réitère les questionnements d’ordre esthétique quant à ce que cache l’art. L’artiste a choisi comme titre de cette œuvre un caractère asiatique :人. Tout en se référant à la forme même de la sculpture, ce titre revêt un aspect mystérieux. L’idée du secret est également soutenue par la présence des deux fermoirs, qui rappellent l’image de portes closes. Tandis que le cube vide souligne un manque absolu. L’artiste évoque ainsi, à nouveau, l’idée de l’hermétisme et de l’absurdité liés à l’art. Toutefois, en dépit de ce propos, la forme même de la sculpture 人人 prête à sourire. Tel un petit être qui descendrait du mur, l’œuvre entrouvre tout un imaginaire, sous le couvert d’une légère ironie.
Tout en posant les problèmes auxquels fait face l’art actuel, Bernard-Alexandre Beullac semble proposer une alternative, celle d’un langage poétique. Les longues tiges des œuvres exposées leur donnent l’aspect de quadrupèdes. En s’arrêtant devant elles, le visiteur peut y découvrir des formes plus ou moins animales. Plusieurs des sculptures ne vont d’ailleurs pas sans rappeler les fameuses araignées de Louise Bourgeois. Quant aux deux retables dont les battants peuvent s’ouvrir, ne ressemblent-ils pas à deux insectes qui prendraient leur envol ? Les sculptures agissent ainsi telles des métaphores de ce qui est encore vivant et suscitent l’émerveillement. Placée devant une cheminée de la galerie, la sculpture Flèches évoque quant à elle l’image d’un insecte mort et recroquevillé sur lui-même. Comme si la sculpture avait été renversée. Si l’évocation de la mort ramène le visiteur à l’idée d’absence et d’échec, la forme des pattes exprime celle d’une résilience poétique. L’artiste fait référence en effet aux éléments architecturaux placés aux sommets d’édifices médiévaux. Recouvertes d’argent, ces tiges de bois continuent à se dresser vers le ciel.
Avec ses sculptures, Bernard-Alexandre Beullac réinvente un univers onirique. Tout en exposant les limites auxquelles l’art est confronté, la forme organique de ses œuvres crée un enchantement. Son langage poétique forme alors l’expression d’une échappée face au vertige du non-sens.
BERNARD-ALEXANDRE BEULLAC HUIS CLOS
Galerie d’art du Parc, Montréal
Du 22 février au 29 mars 2015