Les surfaces volumiques de Ianick Raymond
Attirer l’attention du spectateur en déjouant ses sens. Le séduire en le déstabilisant. Voilà ce que les œuvres de Ianick Raymond réussissent à faire. Mais ce n’est pas tout ! Elles témoignent d’une réflexion audacieuse sur les propriétés plastiques de la couleur et de la matière picturale.
La Galerie d’art d’Outremont présente Décoloration, une exposition réunissant 19 tableaux de Ianick Raymond réalisés au cours des deux dernières années. L’artiste, qui fait montre d’une grande maîtrise de la peinture, met en question la lisibilité de l’image picturale et la rend intrigante. C’est sous l’angle d’un jeu subtil des contrastes optiques inhérents à la couleur qu’il place son travail.
Comment procède-t-il ? Par un travail minutieux de superposition de couches picturales. Généralement, un plan matière – texturé et chaotique – devient l’arrière-plan d’une structure tramée – architecturale. Comme l’explique François Lacasse, commissaire de l’exposition, « le tableau s’articule sur un double effet de perception de l’avant-plan et de l’arrière-plan. Même cet avant-plan qui, par la gradation des luminosités de la couleur, crée un effet de volumétrie ondulante, se trouve profondément modifié lorsque le regard se rapproche et distingue davantage les parties que l’effet d’ensemble ». Le travail de la couleur influence la lecture des tableaux de Ianick Raymond. Quel que soit le point de vue que l’on prend, les toiles se donnent à voir et à lire différemment. Vues de près ou de loin, par la droite ou par la gauche, nous les découvrons sans cesse. Chaque « coup d’œil » révèle un foisonnement de matière et de couleur, d’ordre et de chaos, déclenchant une suractivité rétinienne. Les conséquences de ce travail de superposition de couches ne se limitent pas à l’espace visuel ; l’effet gagne également l’espace kinesthésique. De fait, c’est tout le corps qui est invité par ce langage pictural singulier. Invité à quoi ? À faire l’expérience de l’ébranlement des sens. Peut-être est-ce pour cela que ces tableaux sont aussi enivrants ! Combinant certains mécanismes du all over et de l’art optique, ils nous égarent et nous hypnotisent tout à la fois.
Comme l’indique le titre de l’exposition, l’artiste décompose la couleur. En tirant parti d’une riche gamme chromatique, il joue avec le dégradé pour faire émerger la « lumière ». Ne semble-t-elle pas jaillir du coin supérieur gauche dans le tableau de droite du diptyque Clair- obscur ? La lumière participe pleinement aux stratégies optiques de la couleur, stratégies qui permettent à l’artiste de reconsidérer les modalités traditionnelles de la peinture. Alors qu’avec la série Capture il questionne les spécificités de la surface grâce à un travail de lignes perpendiculaires, dans celle intitulée Déformation, c’est la capacité de mettre en volume (lignes sinueuses) qu’il exploite, l’ondulation des lignes faisant apparaître une « surface volumétrique ».
L’architecture singulière du lieu d’exposition – mur courbé – se prête très bien à la série Déformation, puisqu’elle soutient littéralement et formellement le travail de l’artiste. S’il fait preuve d’une grande originalité dans sa manière d’appréhender le potentiel de la matière picturale et de la couleur, il a trouvé dans l’espace d’exposition de la galerie une très belle manière de mettre en perspective sa réflexion sur la déformation et la mise en volume de l’espace.
IANICK RAYMOND DÉCOLORATION
Galerie d’art d’Outremont, Montréal
Du 6 au 30 mars 2014