L’année 2013 sera marquée au printemps par une importante rétrospective des œuvres de Louis-Pierre Bougie, ainsi qu’au cours de l’été, par une exposition de ses livres d’artiste au Centre d’archives de Montréal.

Depuis près de cinquante ans, Louis-Pierre Bougie dessine, grave, peint. Il sculpte aussi. Il couvre les pages de carnets auxquels il confie des esquisses. Rien de plus naturel que ce travail quotidien pour un artiste qui gagne sa vie de son art. Cependant, observer les créations de Louis-Pierre Bougie sur une période aussi longue revient à suivre le cours d’une sorte de journal. Ce point de vue confère leur unité et leur cohérence aux thèmes que soutiennent les innombrables images, souvent énigmatiques, qui surgissent de la main de l’artiste.

C’est un peu cet esprit de journal au long cours qui va dominer l’exposition rétrospective d’œuvres (monotypes, compositions jamais montrées) réalisées au cours des quelque douze récentes années par Louis-Pierre Bougie auxquelles s’ajouteront des « incursions » qui donneront une idée de ses travaux jusqu’à l’année 1982. Une place particulière sera accordée aux œuvres exécutées au cours et à la suite de ses stages dans des villes étrangères : Paris, Helsinki, New York, Lisbonne, Buenos Aires… L’exposition devrait rassembler près d’une centaine d’œuvres. Il s’agit donc d’un événement important. Il coïncide avec l’ouverture d’un nouvel espace de production et de diffusion culturel polyvalent (arts visuels, littérature, danse, musique, cinéma…) appelé 1700 La Poste créé à l’initiative d’Isabelle de Mévius, galeriste d’origine belge installée depuis une dizaine d’années à Montréal.

Questions sans réponses

Louis-Pierre Bougie dessine inlassablement un personnage. Il dessine, il grave, il peint tête, corps, bras, jambes séparément, ensemble ou dans diverses combinaisons ; il dessine un personnage et son ombre. S’agit-il d’auto­portraits ? S’agit-il de son double ou du double de son double ? Oui, bien sûr. Non, évidemment. Alors ? « Il s’agit de toi. Toi, regardeur distrait ; toi, curieux soudain et observateur de ta propre existence », répondrait Louis-Pierre Bougie. Car l’invitation est claire pour chacun de reconnaître dans les tableaux de Louis-Pierre Bougie sa précarité, sa solitude, son isolement. L’artiste exprime aussi sans cesse un étonnement : pourquoi la vie ? Pourquoi cette vie-là ? Il répond qu’il n’a pas de réponse à de telles questions.

« J’essaie de transmettre la sensation d’être ce que sont les autres », déclare Louis-Pierre Bougie. Or, les figures qui surgissent dans cette intention demeurent énigmatiques. Elles apparaissent torturées ; mais, dans un autre tableau, les voici exubérantes de joie. Pourtant les unes et les autres peuvent évoluer dans des espaces affranchis de la pesanteur terrestre. « Nous sommes tous parfois à la recherche d’un ailleurs », remarque l’artiste. Il explore cet ailleurs dans des compositions où se côtoient des éléments disparates, où les corps humains se métamorphosent en plantes vertes, où l’espace n’est ni liquide, ni aérien, ni solide, où des objets inconnus s’immiscent un peu partout. « L’ailleurs a ses lois », se contente de noter laconiquement l’artiste.

Sa formation dans diverses écoles d’art, ses stages dans des ateliers de gravure où il a côtoyé les meilleurs maîtres et, bien sûr, son systématique travail quotidien ont rompu Louis-Pierre Bougie à l’exercice du dessin. Il en exploite les plus fines propriétés. Libéré des contraintes techniques, à l’aise avec ses moyens favoris (fusain, encre, gouache…), il peut composer à son gré une miniature tout comme une fresque de plusieurs mètres. « Mon plaisir, signale-t-il, c’est de raconter une histoire. » Mais paradoxalement, les œuvres de Louis-Pierre Bougie ne sont pas narratives au sens courant de ce terme. Il serait difficile, par exemple, de trouver un début, un milieu et une fin à « ses histoires ». C’est à l’observateur de se laisser prendre par les licences que prend l’artiste avec l’espace pictural pour construire une histoire parmi cent récits possibles où s’entrecroisent la folie (tête décollée, par exemple), la mort (prolifération de bactéries), l’amour (la fusion de personnages), la violence (défigurations, grimaces de douleur), la haine (corps disjoints, corps séparés).

Des couleurs…

Enfin, certaines couleurs reviennent comme des leitmotive. Sans avoir vraiment valeur de symboles, elles sont porteuses de significations globales. Ainsi, le bleu représenterait souvent l’espace, le rouge une blessure, le vert l’oppression, le blanc (qui n’est jamais blanc mais toujours rompu) est ce qui tache l’espace. Quant au noir, l’artiste le réserve plutôt à l’expression du dessin comme tel et à l’élaboration du double, de l’autre et de l’ombre du double. Ombre du doute, ombre du double ? C’est une couleur majeure si l’on veut bien admettre que tout le travail de Louis-Pierre Bougie consiste à explorer la part obscure des êtres et des choses.