Le plus parisien, le plus américain, le plus canadien des peintres québécois, tel pourrait bien être Marcel Barbeau.

« Marcel Barbeau est bien le plus parisien des peintres québécois », affirmai-je avec une pointe d’humour à l’ami avec lequel je visitais l’exposition, tandis que j’admirais le tableau intitulé Paris les blancs manteaux. « C’est parce que vous êtes parisienne que vous dites cela », intervint un visiteur qui semblait ne pas apprécier mon propos. Sans me laisser le temps de répondre, il ajouta : « Vous n’avez sûrement pas vu l’exposition Marcel Barbeau : Escapades dans les Laurentides au Musée d’art contem­porain des Laurentides. C’est dans la nature que Marcel Barbeau va chercher son inspiration. » Inutile de répliquer. Dans le catalogue qui accompagne cette exposition, Marcel Barbeau a écrit : « La nature n’a jamais été pour moi un modèle, mais bien un lieu de calme et de silence favorable à la poursuite de mon œuvre et au ressourcement. (…) J’ai souvent trouvé dans les Laurentides un nouvel appétit de créer. » Or, c’est précisément l’appétit de créer que cet artiste est allé chercher et continue à chercher de par le monde.

Pour Marcel Barbeau, la ville n’est pas plus un modèle que la campagne. Ce qu’évoque, pour moi, le tableau intitulé Paris les blancs manteaux, c’est la chanson écrite par Jean-Paul Sartre et chantée par Juliette Greco intitulée Dans la rue des Blancs-Manteaux qui raconte, avec une touche d’humour noir, les exécutions capitales qui eurent lieu dans cette rue du Marais pendant la Révolution. Dans cette œuvre peinte en 2002, le peintre revisite, en quelque sorte, le courant artistique qui prévalait à Paris à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Paris attirait alors les artistes du monde entier, et les signataires du manifeste Refus global ne firent pas exception. Il ne faut donc pas s’étonner d’une certaine parenté de style entre cette œuvre et les peintures d’un Serge Poliakoff, l’un des représentants de l’École de Paris dont Marcel Barbeau allait voir les œuvres dans les galeries parisiennes. Toutefois, la toile du peintre québécois est plus aérée : les formes s’y envolent dans un ciel imaginaire, comme soufflées par un vent frondeur. En revanche, le tableau intitulé Le ciel renverse la terre (1992), dont les taches bleues survolent un fond vert, est plus proche, du fait de la dispersion des motifs, de certaines toiles d’Alfred Manessier, un autre peintre de l’École de Paris que Marcel Barbeau admirait.

« Marcel Barbeau est bien le plus américain des peintres québécois », répliqua mon ami, alors que nous nous trouvions devant le lacis de lignes et de taches noires de La virevolte de Vriac (1959). Cette magnifique œuvre en all-over rappelle indiscutablement les drippings de Jackson Pollock.

Pourtant, on pourrait soutenir avec autant d’assurance que Marcel Barbeau est avant tout un artiste montréalais. Non seulement il est né à Montréal, mais il a fait dans son atelier – l’Atelier de la ruelle – ses premières expériences d’expressionnisme abstrait. Les deux encres inti­tulées Combustions originelles, qui datent de 1950, sont caractéristiques de la période automatiste – étant entendu que l’automatisme est l’équivalent pictural de l’écriture automatique inventée comme moyen d’expression par André Breton. Deux petites œuvres, mais la perfection ne se soucie pas de la dimension : geste et couleur, intuition sans retouche, un moment unique dans la création.

En fait, Marcel Barbeau a été sensible à presque tous les mouvements artistiques majeurs qui ont agité la planète au XXe siècle. Alors que j’évoquais Vasarely à propos du tableau de 1966 intitulé Rétina, Marcel Barbeau me confia qu’il avait bien connu le fils de Vasarely, Yvaral, lui aussi artiste de l’op art. Mais Marcel Barbeau sait s’approprier les règles, même les plus contraignantes. Le détournement quasi figuratif dans le tableau tina, construit autour d’un ovale qui rappelle la forme de l’œil, en est un bon exemple.

Marcel Barbeau ne prend jamais de vacances ou, plus exactement, il transforme ses vacances en tableaux. C’est le cas de la toile intitulée Les grandes vacances qu’il a peinte en 1982. L’œuvre suggère la détente et la joie avec ses taches de couleurs pastel qui se côtoient librement. De retour d’un séjour en Floride, le peintre vient de rapporter une série de toiles qui restituent l’impression qu’a produite sur lui la mangrove. Dans le tableau intitulé Mangrove I : les ibis, des giclées de peinture noire relient, dans leur spontanéité hasardeuse, des touches grises et blanches qui se détachent sur un fond orangé comme un soleil couchant. Liberté de construction, gestualité, couleur, l’artiste n’a rien perdu de l’esprit créatif qui l’animait lorsqu’il signait, en 1948, Refus global.

Enfin, Marcel Barbeau est le plus canadien des peintres québécois et cette affirmation, il n’est pas nécessaire de la démontrer puisqu’il a reçu le 12 mars 2013 le Prix du gouverneur général. Il était temps.

MARCEL BARBEAU RIVAGES ET AUTRES HORIZONS : 1950-2013
Galerie Michel-Ange, Montréal
Du 21 avril au 17 mai 2013