L’abus de pouvoir commence avec l’abus de langage, affirmait Mel Bochner, dans un entretien avec Phong Bhui pour The Brooklyn Rail, en 2006. Exposé pour la première fois à Montréal, il s’emploie à débusquer, notamment dans ses œuvres « thésaurus », les idéologies derrière le langage quotidien. Son exposition Words, Words, Words… regroupe près de 20 nouveaux monotypes.

Peintre, sculpteur, photographe et auteur, Mel Bochner est l’un des pionniers de l’art conceptuel et du post-minimalisme. L’artiste incite à une réflexion profonde sur le langage, sa communicabilité et son incommunicabilité, mais aussi sur son évolution dans la société contemporaine. Le mot étant pour Mel Bochner objet et sujet de la présentation, l’artiste explore au moyen du monotype le singulier maillage qu’il a élaboré au fil du temps de la structure abstraite du discours, le langage, et de la matérialité de l’œuvre, la couleur.

Maillage qui, loin d’être une représentation claire du sujet, force le regardeur à passer du « lire » au « voir » de façon asynchrone qui, grâce à la puissance déstabilisante de la couleur, le détourne momentanément du sens vers une autre perception : un L E W D bleu ciel perd en grossièreté ce qu’un lugubre H O T ’N H O R N Y, qui s’empâte pour se fondre dans un arrière-plan un peu crasseux, perd en promesses alléchantes (Obscene). L’excès étant de nos jours monnaie courante, la violence à fleur de peau du S C H I Z Z O et du P S Y C H O (Crazy) se pare de ravissantes teintes bonbon. Duplicité du mot et de la couleur ?

Épistémologie et empirisme

Deux approches opposées interviennent simultanément dans l’œuvre. D’une part, une structure dans laquelle s’organise rigoureu­sement un certain nombre de mots par ligne, d’un répertoire de signes, de synonymes et d’expressions en anglais conversationnel, selon le système de classement du Roget’s Thesaurus. D’autre part, en coloriste chevronné, il soumet l’œuvre à une débauche de couleurs, une façon peut-être de célébrer dans le papier étonnamment épais fait à la main la matérialité et la primarité sensuelle de la peinture. Si l’œuvre naît du hasard – les mots et les couleurs sont choisis de façon aléatoire –, elle ne se construit jamais dans le désordre. De plus, la couleur n’est pas choisie en fonction d’un mot spécifique.

Chaque tableau est unique ; sur une feuille de papier Twinrocker très épais, d’une grande légèreté et très pelucheux, le peintre réalise un collage de bouts de papier ou encore de bandes, au préalable peints par lui. Il dispose sur une plaque, en les inversant, des lettres de plexiglas qui seront ensuite remplies de peinture à l’huile sur lesquelles sera déposé le collage avant d’être soumis à une pression hydraulique verticale de plus de 290 kilogrammes. Les craquelures, les bavures en relief sont obtenues au retrait de la feuille (Blah Blah Blah). Jusqu’au bout, l’œuvre réserve des surprises. Outre la force incantatoire du message souvent répété sur plusieurs tableaux d’une même série (Blah Blah Blah), la couleur, elle, convie le spectateur à une matérialité sans cesse changeante. Le motif du peintre n’est-il pas d’aiguiller vers une intention cachée. Sommes-nous dupes ?

MEL BOCHNER WORDS, WORDS, WORDS…
Galerie de Bellefeuille, Montréal
Du 20 au 30 avril 2013