Michael Snow conjugue l’aisance trompeuse et l’éternelle fraîcheur des vrais maîtres avec une touche de désinvolture légère, légère.

Condensé d’une exposition revenant du Fresnoy, à la frontière franco-belge, via le centre Akbank d’Istanbul et conçue avec l’actif concours de la figure canadienne la plus marquante de l’histoire de l’art, Solo Snow1 faisait suite à la Galerie de l’UQAM à Solar Breath, exposition consacrée en 2005 à cette œuvre de 2002, reprise ici. Les rideaux filmés en train d’être tour à tour soulevés par le souffle de Borée, puis plaqués quelques secondes sur une moustiquaire avec un claquement photographique par un appel d’air crépusculaire au chalet de Michael Snow à Terre-Neuve, n’ont certes pas fini de livrer leur foison d’aperçus transversaux sur la nature de l’art. (Leur influence était évidente dans l’installation Intérieur d’Olivia Boudreau à la Fonderie Darling l’automne dernier.) Désignés en sous-titre Northern Caryatids, ils soulignent de leur drapé le caractère monumental de ce que l’art fige en suspens dans un cadre à la fois soustrait et soumis au temps, perméable aux échos (de vaisselle ici) du monde humain qui le structure autant qu’à l’espace extérieur de la nature. Remplissant l’écran de Condensation, A Cove Story (2009), jusqu’à voiler de bruine en suspension dans l’atmosphère le panorama d’une crique, la nature avoisinante est condensée en l’espace d’une journée, sa temporalité linéaire comprimée par chronocinématographie en plan fixe, à l’inverse de l’espace sphérique du Nouveau-Québec cycliquement contorsionné dans La Région centrale (1971) autour d’un point fixe.

Le sujet de l’art mis en relief

L’allusion à un autre film majeur, So Is This (1982), était explicite dans That / Cela / Dat (2000), jeu verbal trilingue sur les attentes du visiteur. Dans Observer (1974-2001), un grand X marquait le point du plancher où il devait se tenir pour voir son image projetée sur celui-ci, comprimée en anamorphose du vrai sujet de l’œuvre : une conscience située. Dans Serve, Deserve (or Setting, Unsetting) (2009), une autre projection verticale l’invitait à se mettre à table pour s’avouer prêt à avaler tout ce qu’on lui sert dans le cadre de l’art : des aliments projetés du dehors sur un couvert, leurs fluides répandus sur la toile blanche de la nappe par une action painting réversible les détournant de la consommation vers la contemplation d’un sens qu’on attend en vain de l’artiste, ce serveur insolent. Le socle accueillant la projection de ces reliefs était comme démultiplié pour en conférer à l’écran de The Corner of Braque and Picasso Streets (2009), traitement littéralement cubiste d’une vue extérieure en temps réel.

Le médium était ainsi mis en relief, comme dans Piano Sculpture (2009) les haut-parleurs au milieu de l’instrument dont jouait Snow en vue zénithale de chacune des parties synchronisées de ce quatuor pour un homme seul. Son jeu musical – de l’improvisation jazz au canular ethnographique en passant par l’échantillonnage sonore – était représenté par cinq de ses œuvres audio diffusées par des écouteurs, accrochant le visiteur en laisse à une colonne juste hors de portée d’autres éléments de cette exposition : seul point faible de ce tour d’horizon d’un travail conjuguant avec l’aisance trompeuse et l’éternelle fraîcheur des vrais maîtres les multiples dimensions de l’expérience artistique. 

(1) Louise Déry (dir.), Solo Snow : Michael Snow. Textes de Louise Déry, Jacinto Lageira, Érik Bullot, Stéfani de Loppinot, Michael Snow. Dijon, Les Presses du Réel, 2011, 144 pages, 21,5 x 27 cm, couverture rigide, bilingue, 35 $.

SOLO SNOW. ŒUVRES DE / WORKS OF MICHAEL SNOW
Commissaire : Louise Déry
Galerie de l’UQAM, Montréal
Du 11 janvier au 16 février 2013