Michel de Broin
À l’écoute de la matière
L’exposition This and That de Michel de Broin à Toronto était, comme toujours chez cet artiste, multiforme. Elle a confirmé le côté fantaisiste et audacieux de Michel de Broin qui transparaît si souvent dans ses projets d’art public. Elle était composée de pièces remontant à trois ans, comme son Blowback (canons reliés par un tube), son feu dans le lavabo (Étant donnés) ou encore ses pneus encastrés (Tour de force 1). À la suggestion du galeriste et collectionneur Pierre Trahan, il a ajouté de nouvelles créations qui ont permis d’établir des liens intéressants entre les œuvres de différentes fournées, placées en porte-à-faux et non pas rassemblées par identité de cohérence.
Michel de Broin a ainsi suscité des relations antinomiques, plaçant Tour de force 1 non loin de Dog Fight, sculpture en béton en forme de cellule géante à tentacules. Une association entre une pièce à l’énergie concentrique (cinq pneus imbriqués les uns dans les autres qui font penser à un trou noir) et une autre, plus explosive.
Chaque œuvre de Michel de Broin revêt les proportions d’un univers. Elle exige une lente étude. Elle vient déjouer attentes, habitudes, connaissances. Une expérience non discursive dans le même esprit que l’exposition présentée par l’artiste au Musée d’art contemporain de Montréal en 2013.1
À Toronto, parmi les œuvres les plus remarquables, se détache sa série Drunkated, trois sculptures en suspension composées de touilleurs à cocktail qu’il a récupérés en achetant une collection de ces objets délicats en plastique, plutôt en voie de disparition. Il les a moulés en bronze, polis et soudés à l’argent les uns aux autres pour former une œuvre architecturale aussi solide qu’aérienne qui rappelle des structures cristallographiques et spatiales. Une œuvre inspirée mais aussi humoristique, si l’on se réfère à son titre. Un travail de titan, en fait, qui évoque les gestes machinaux d’un pilier de bar essayant de noyer sa solitude dans l’alcool et qui manipule tout ce qui lui tombe sous la main, notamment ces touilleurs… d’âme.
Phares d’automobiles se prenant pour des lunes, pièces métalliques en gravitation par thermoformage, insectes mystérieux en dialogue sur un socle, tuyau de plâtre en attente de soins sur une civière, pièce de bois accouplée à une poutre d’acier : les œuvres de Michel de Broin vont évidemment dans tous les sens… comme son imagination.
Une autre des œuvres marquantes de l’exposition s’intitule Head. Sculpture mi-abstraite mi-figurative en Forton, forgée à partir de boules de polystyrène assemblées avec de la graisse avant d’être travaillées avec de la résine, puis avec la chaleur, pour faire fondre en partie le polystyrène. Après avoir brisé des parties, puis poli le reste, Michel de Broin a traité la tête, figure bizarre qu’il a ensuite plaquée à l’aluminium. Le visiteur tourne autour de la sculpture posée sur une base de bois et distingue, selon l’angle de son regard, des figures aux expressions variées : une femme, un homme, un poisson… Michel de Broin a monté cette œuvre tout de suite après sa machine à fabriquer des châteaux de sable. Pour se changer les idées après une épopée techniquement complexe. Pour renouer avec son travail d’atelier, essayer des méthodes, mélanger des techniques.
Travailler la matière pour ériger des formes provenant plus d’une expérience tactile, de l’inconscience ou encore de la suggestion tirée de la matière elle-même que de la volonté propre de l’artiste ou de son dessein initial : voilà un volet du bonheur de créer de Michel de Broin. Une avenue automatiste qu’il veut approfondir à l’avenir. Pour suivre un chemin plus intuitif, plus à l’écoute du comportement du matériau. Le début d’un processus conforme à la « tradition » qu’édifie Michel de Broin depuis 20 ans avec des œuvres dont le concept est la première énergie créatrice autant que la justification. Comme si la justesse et l’intérêt fascinant de son expression artistique découlaient toujours librement d’une idée originelle, aussi farfelue soit-elle, comme de créer une voiture à pédales (Shared Propulsion Car), une piste cyclable surréaliste (Entrelacement) ou une perceuse… percée (Bleed). Avec pour conséquence non préméditée de faire surgir un objet d’art sans précédent.
Michel de Broin – Castles Made of Sand
BMO Project Room, Toronto
De juin à novembre 2016
Michel de Broin – This and That
Galerie Division, Toronto
Du 29 octobre au 25 décembre 2016