Pascal Caputo. Motif et matière : l’un avec l’autre – distinctement
L’œuvre de Pascal Caputo appartient à cette « peinture savante émergente ». Cette peinture met en examen le métier de peindre au sein d’un régime qui érige la domination de l’image que notre société connaît aujourd’hui à l’ère d’Internet.
Les plus récents tableaux de Pascal Caputo sont tous le résultat d’une transposition d’images sélectionnées sur Facebook – des portraits ou des autoportraits –, dont le jeune peintre a préalablement supprimé la figure humaine en découpant grossièrement la surface numérique au moyen d’un logiciel de traitement de l’image. Aussi, chaque tableau présente-t-il une étrange figure fantomatique qui semble au premier coup d’œil obstruer une bonne partie de l’image peinte. C’est systématique, elle est toujours là. Seule sa forme varie. Elle intrigue, gêne même. Mais elle gêne l’esprit plus que la vue, car dans les faits, cette figure fantomatique n’est pas peinte. Ce qu’on y voit, c’est la toile brute, immaculée, vierge.
Sur les traces du peintre
La décision de réserver de la sorte une partie du tableau n’est peut-être qu’une astuce du peintre pour inciter le regard à scruter la surface du tableau. Vu de près, le phénomène se confirme, le tableau est bel et bien constitué d’une partie peinte et d’une autre qui ne l’est pas. Par contre, à cette distance, on découvre que les motifs iconographiques sont dessinés dans l’empâtement même du dépôt de peinture. Parfois, le peintre ira jusqu’à les y modeler. Du coup, pour l’œil, l’image d’un caillou, par exemple, coexiste avec l’empâtement qui le dessine. Les parties peintes des tableaux seront toutes traitées de cette façon : les motifs iconographiques s’exposent simultanément comme de purs dépôts de peinture. Rien n’est donc caché dans ces tableaux. Tout y est en vue. Tout, absolument tout. De la toile brute aux empâtements qui la recouvrent, et qui, de dépôt de peinture en dépôt de peinture, finiraient par dessiner des paysages ou des scènes de genre, s’il n’y avait pas cette figure fantomatique pour y contrevenir.
Cette manière de procéder permet de marcher sur les traces du peintre, étape par étape, de la toile brute à l’image illusionniste en passant par les modalités du tracement. Est-ce bien là ce que l’on avait à découvrir ? Le peintre avait-il en tête de permettre au spectateur de reconstituer les différents moments de la fabrication de l’image ? Le sujet de ces tableaux est-il assurément la fabrication des images dont ils sont les supports ?
Une esthétique de la restitution
Chose certaine, Pascal Caputo a conçu là des tableaux où les rapports d’opposition s’accumulent. Au registre de leur surface d’inscription d’abord, où une partie sera peinte et une autre, non. Au registre du plan de l’image ensuite, où le peintre inverse le traditionnel découpage figure/fond. Au registre de la lisibilité des motifs iconographiques enfin, où le motif et l’empâtement qui le dessine s’imbriquent l’un dans l’autre et, dès lors du coup, contre toute attente, s’exposent mutuellement.
De tableau en tableau, le peintre fait varier l’image en usant invariablement de ce jeu d’opposition entre le peint et le non-peint, entre figure et fond, entre la saisie de la forme et les textures qui la dessinent. Manifestement, ces rapports d’opposition orchestrent la lisibilité des tableaux. Une lisibilité qui finit par se laisser régir essentiellement par les effets de deux gestes pour le moins décisifs : un geste d’élision, représenté par la figure fantomatique ; et un geste qui donne en quelque sorte à l’image une matière, et dont le modelage des motifs iconographiques dans l’empâtement même du dépôt de peinture est le représentant.
Aussi, plutôt que de voir le dessin et l’image, la pâte chromatique et le motif iconographique disparaître l’un derrière l’autre, en alternance, dans un mouvement de privation, d’élision, de l’un par l’autre, on ne cesse au contraire de les voir simultanément, l’un et l’autre, l’un avec l’autre, distinctement. L’un restituant à l’autre l’existence dont on se serait attendu qu’il l’eût dépossédée.
Pascal Caputo connaît et manie parfaitement les irréductibles polarités inhérentes à la formation d’une image. Il sait et convient, au creux même de son geste, qu’une image est le composé de la présence factuelle, effective, d’un matériau et de la représentation intellectuelle, théorique, d’une forme. Mais, à peindre comme il le fait, c’est-à-dire en prenant soin de restituer à un pôle ce dont il semble être privé, il enraye toute possibilité d’ériger un quelconque système de valeurs qui privilégierait un pôle au détriment de l’autre. Or, ces systèmes de valeurs existent et structurent les discours de légitimation actuels de ce qui est censé « faire art ». Sous cet angle, le geste de Pascal Caputo, sa manière de peindre, imaginons-les un instant sous les traits d’une éthique, d’une éthique du geste, voire d’une éthique de tout geste. Alors, et contre toute attente, les plus récents tableaux de Pascal Caputo s’avèreront on ne peut plus politiques, tout comme les tableaux des premiers automatistes l’avaient été à leur époque, c’est-à-dire dans la manière même avec laquelle ils ont été peints.
PASCAL CAPUTO AU TRAVERS DU REPLI
Galerie Dominique Bouffard, Montréal
Du 11 septembre au 6 octobre 2013