Dans une première exposition solo intitulée Les Nus, l’érotisme et l’invisible, le photographe Patrick Rochon peint sa rencontre avec l’autre, dans le noir, au plus intime de lui-même. Il le fait avec des pinceaux lumineux qui voilent et dévoilent le corps de l’autre, dans la plus grande retenue, la plus grande douceur.

Saisi par la proximité des prises de vue et leur format, le visiteur est au premier abord déstabilisé. Ce n’est pas la nudité des corps qui suspend son regard, mais la lumière qui en jaillit, ses textures, les chemins qu’elle emprunte autour et sur les corps qui s’abandonnent. Couchés, allongés, offerts, le plus souvent comme en apesanteur, ceux-ci émergent d’un fond noir comme du plus obscur. « J’aime le noir, j’aime son intemporalité, explique l’artiste. Dans le noir, il y a érotisation. En tant que peintre de lumière, j’ouvre la noirceur, je l’illumine. »

Les douze images photographiques imprimées sur papier coton archive mat accrochées au mur de l’atelier de l’artiste constituent le noyau d’une exposition dont le thème est l’érotisme dans ce qu’il a d’unique, de sacré : « J’ai regardé les sites d’art érotique et sexuel. Quelque chose, chaque fois, manquait. J’ai voulu faire ressortir la beauté de l’érotisme, en toucher l’essence. »

Et c’est bien ce que ressent le visiteur à contempler ces corps nimbés, transis de lumière, imprégnés de silence, à la fois révélés et contenus en leur secret, leur mystère. Comment dire ? Les traînées lumineuses aux couleurs subtiles, les gouttes, les vapeurs de lumière blanche qui voilent, dévoilent, transforment les corps photographiés le convient dans un hors-temps, un hors-lieu, un ailleurs aux réminiscences primordiales. Si des œuvres comme Cocon, ChrysalideGolden TempleOpening Up laissent entrevoir le corps féminin dans son expressivité et sa sensualité polymorphes, elles invitent avant tout le visiteur à perdre ses repères, à consentir au voyage, tant les formes données à voir le déplacent, le sortent de lui-même, l’emmènent dans un espace où l’autre, en son prolongement, devient sa lumière.

« Nous sommes des êtres de lumière, souligne l’artiste. Cette lumière, notre œil la capte tous les jours sans s’en rendre compte. Pour la rendre visible, j’ai fabriqué des pinceaux lumineux à partir de fibres optiques de différentes longueurs ou épaisseurs reliées à la surface réfléchissante de lampes torches. Évoluant dans le noir absolu, au-dessus, autour de mon modèle, j’ai manié ces fibres de lumière de façon à caresser son corps, guidé par la complicité instaurée entre nous et par mon imaginaire. Il m’arrivait de sculpter la lumière au-dessus de son corps en faisant bouger les fibres avec les doigts. Chaque trait lumineux se faisait naturellement, de lui-même. »

Et l’artiste de rappeler que chaque trait posé est une trace capturée par l’appareil photo : « Le processus est irréversible, la lumière ineffaçable. Il est impossible de retourner en arrière. »

Patrick Rochon n’hésite pas à révéler que son travail s’est accompagné d’une démarche intérieure de transformation : « Il m’a fallu apprendre à mieux sentir les personnes, à demeurer dans l’ouverture, la simplicité, l’énergie, à faire le vide et à observer. » Le silence n’est pas étranger à ce qui s’est mis en route, précise-t-il : « Le silence permet de laisser entrer la magie, le vrai, l’inattendu ».

Cette magie, cette authenticité, le visiteur les éprouve tout au long de son parcours. Bientôt, les traits de lumière sur les corps, aux infinies nuances, allant d’un blanc cristallin à un jaune or, en passant par différentes teintes de gris, voire de brun cuivré, ne le laissent plus indemne. L’agilité, l’inventivité d’Éros, marquées d’audace et de pudeur, le tiennent captif, au plus près de l’autre, au plus près de lui-même.