Serge Lemonde
L’insolite et l’inattendu
Toute l’œuvre de Serge Lemonde démontre combien la tradition picturale fondée sur un savoir- faire très maîtrisé peut être féconde dans l’exploration de nouvelles manières d’appréhender le monde contemporain.
Après la rétrospective mise sur pied par le Musée du Bas-Saint-Laurent en 2002 qui a circulé à travers le Québec, la Maison de la culture Côte-des-Neiges a organisé à son tour une exposition d’envergure consacrée à Serge Lemonde. Elle était composée de quarante peintures couvrant cinq décennies d’une production soutenue, de 1965 à 2016. Associé à ses débuts au courant pop québécois, puis à l’hyperréalisme, le peintre a constamment interrogé le pouvoir de représentation de l’image en liant la vraisemblance du monde physique à des univers insolites.
Sous le commissariat de Jean-Michel Correia, l’exposition se répartit entre 3 thématiques distinctes permettant aux visiteurs de circonscrire le répertoire iconographique élaboré par l’artiste tout au long de sa carrière. La catégorie Le Bestiaire/ Interstellaire regroupe des paysages et des représentations d’animaux et de végétaux dans des scènes photoréalistes surprenantes. Par exemple, l’œuvre Le labour (1998) montre un champ agricole minutieusement reconstitué où apparaît curieusement un astre sur la ligne d’horizon. L’ajout de ce seul élément transforme le tableau en un imaginaire surréel influencé par l’apport de la science-fiction et de l’astronomie. Cette influence se répercute également dans le traitement de la peinture La grande patate de 2008 où le légume germé s’apparente à un astéroïde voguant sur une étendue infinie. Derrière la ressemblance des sujets peints par Lemonde se dégage, dit le commissaire, « la volonté de révéler un réel insoupçonné ». Cet aspect enchante, fascine et déstabilise le spectateur, car celui-ci est confronté à l’obligation de lire une scène figurative qui défie toute logique sur le plan des apparences. Le voici en face d’une nouvelle image de la réalité, à la fois altérée et magnifiée par le peintre qui utilise la contrefaçon comme un élément fondamental de son langage artistique.
Un art postmoderne
Autre élément à souligner : le dispositif spatial dans lequel s’inscrivent les objets. Contrairement aux hyperréalistes américains, Serge Lemonde les isole de leur contexte d’origine pour mieux dévoiler leur matérialité. Les formes deviennent des entités autonomes qui évoluent dans des lieux sans décor. C’est le cas du tableau Le fusil à graisser de la thématique Les objets de vie, où l’outil est traité comme un sujet à part entière. Sa forme est magnifiquement dessinée et le traitement de la lumière lui confère une sensation tactile. De même, l’ombre portée amplifie la corporéité du fusil qui se détache du fond en simulant la troisième dimension : surprenant trompe-l’œil. Le même phénomène anime l’œuvre Le moteur datant de 2000. L’objet massif semble flotter dans un espace indéterminé en donnant l’illusion d’émerger hors du cadre du tableau. La perfection mimétique de cette création prend sa source dans un dessin préparatoire minutieux. Par un procédé de projection photographique sur la surface à peindre, l’artiste trace des marques précises qui conditionnent l’élaboration picturale à venir. À l’aide de pinceaux fins, il applique la couleur jusqu’à l’obtention de l’effet désiré. Toute l’œuvre de Serge Lemonde démontre combien la tradition picturale fondée sur un savoir-faire très maîtrisé peut être féconde dans l’exploration de nouvelles manières d’appréhender le monde contemporain. En ce sens, son art est fondamentalement postmoderne.
La troisième thématique de l’exposition a pour titre La contestation. Dans cette catégorie, le peintre adopte une position critique en dénonçant notamment l’écart qui existe entre le marché de l’art international et celui, plus limité, du Québec. Dans une approche où la dérision est patente, l’artiste peint des autruches devant des reproductions de tableaux célèbres, notamment une toile de l’artiste américain Cy Twombly. Dans cette composition, une autruche galeriste se tient fièrement devant le tableau vendu, un point rouge apposé sur une étiquette indiquant le prix de dix millions de dollars. Le commissaire mentionne dans l’opuscule accompagnant l’exposition que Lemonde joue ici avec l’histoire de l’art pour devenir un artiste/critique dénonçant les dérives des ventes aux enchères. Si l’imitation du réel caractérise la production du peintre, on le sent également très à l’aise sur le plan technique pour reproduire des tableaux abstraits à la manière d’un faussaire.
Lemonde et l’histoire de l’art québécois
Tout comme pour certains artistes de sa génération, tels Serge Lemoyne et Pierre Ayot, l’art de Serge Lemonde prend naissance vers le milieu des années 60 et s’édifiera en rupture avec l’idéologie moderniste. Inspiré par les nouveaux moyens de communication, le cinéma, la bande dessinée et aussi la littérature fantastique, l’artiste s’éloigne radicalement des enjeux formalistes liés à l’abstraction qui, de son propre aveu, n’avait plus aucune résonance. Le peintre est bien de son temps, nourri au contact permanent de la culture du divertissement et du loisir. Fraîchement diplômé de l’École des beaux-arts de Montréal en 1966, Serge Lemonde, en compagnie du sculpteur Jean-Claude Lajeunie, expose une série de peintures / collages où des pin up girls issues de magazines de l’époque sont propulsées nues dans un espace sidéral aux commandes d’astronefs et d’engins divers. Claude Jasmin, alors critique d’art au journal La Presse, est impressionné par la qualité graphique et l’érotisme flamboyant des images de Lemonde. Suit une deuxième exposition à la Galerie Libre en 1967, couronnée par un autre succès. À nouveau, Claude Jasmin apprécie le caractère avant-gardiste de l’œuvre du peintre qui annonce, selon lui, de nouvelles voies à explorer dans le domaine des arts visuels. La même année, Lemonde est choisi pour représenter le Canada à la Biennale de Barcelone.
L’orientation pop du peintre se déplacera rapidement vers une nouvelle quête artistique axée sur la précision des formes et des figures. Souvent qualifié de premier peintre hyperréaliste québécois, Serge Lemonde poursuit toujours une démarche où l’exactitude mimétique se conjugue à une vision interprétative du monde visible.
Serge Lemonde – L’événement du siècle
Maison de la culture Côte-des-Neiges, Montréal
Du 26 janvier au 26 mars 2017