Stephen Schofield
Au pays de la porcelaine
Depuis janvier 2017, le sculpteur canadien Stephen Schofield est en résidence de création au CRAFT. Derrière cet acronyme se rassemblent les femmes et les hommes du Centre de recherche sur les arts du feu et de la terre, qui a élu domicile à Limoges, en France. C’est là-bas, dans un atelier baigné de lumière, que j’ai rencontré Stephen Schofield.
Stephen Schofield est au CRAFT pour mener à bien un projet fort ambitieux – mais après la spectaculaire œuvre d’art public Où boivent les loups ? au cœur du Quartier des spectacles de Montréal, on ne pouvait s’attendre à moins. Le titre de son nouveau défi, Florès, jusqu’à la septième génération, explique un peu de quoi il s’agit : réaliser sept sculptures, toutes identiques, mais à chaque fois réduites de 15 %. La première est de la grandeur d’un enfant, la dernière de celle d’une poupée.
Le plongeur avant le saut
Devant le premier Florès, nul ne se douterait que son exécution fut à ce point compliquée. Il faut écouter Stephen Schofield lorsqu’il détaille le processus de réalisation, présente ses différents moules, explique que son support de cuisson est conçu comme un berceau… Sa patience. Les yeux qui brillent. Sa voix parfois émue. Il faut l’entendre énumérer les différentes astuces et précautions à prendre pour que les pièces ne cassent pas. La passion qu’il y met a trouvé du répondant auprès d’une équipe attentive et dévouée1.
Lors de ma visite de l’atelier, chacun et chacune apportera d’ailleurs sa précision. Le corps nu et glabre du jeune Florès possède cette blancheur caractéristique qui, rappelle Cécile Gautier, la responsable technique, est l’identité visuelle de Limoges. Pour y parvenir, il a dû cuire longtemps dans un four au gaz, à basse température. De sorte qu’ensuite seulement on obtient ce biscuit couleur de lait.
Florès grimace ? On s’approche : il est très expressif, ce petit garçon aux bras croisés, bouche ouverte et sexe exposé. Son attitude générale est celle du mouvement, en contrapposto. Néanmoins, ce déhanchement n’est pas contrebalancé, comme on pourrait s’y attendre, par l’inclinaison inversée des épaules. Il n’est pas non plus dans le figement solennel de l’éphèbe de Critios : le corps du garçonnet est tendu, renversé en arrière, évoquant l’attitude du plongeur avant le saut. Tout, chez lui, y compris les orteils relevés, indique qu’il est sur le point de bouger, qu’il est vivant. On tourne autour de lui. Ses mèches de cheveux ont l’air si naturelles : or, pour en reproduire l’aspect indiscipliné, combien il a fallu de rigueur, de persévérance, et plusieurs moules ! Devant le résultat, personne ne se douterait que ce Florès-là a été composé à partir de seize morceaux.
La tensivité figurative est l’une des marques de fabrique de Schofield. C’est à dessein qu’il redonne de l’expression à son petit homme en biscuit. Les prédécesseurs du Limousin Florès se devaient en effet d’en être dépourvus afin de répondre à un souci esthétique, celui de l’élégance et de la distinction. Ce parti pris allait de pair avec l’effet de préciosité que confère le biscuit, inventé au XVIIIe siècle par la manufacture de Sèvres, et qui rivalise avec le marbre. Or, l’art moderne du XXe siècle a su bousculer les codes figuratifs et, un siècle plus tard, Schofield valorise l’hyper-expressivité de sa figure tout en choisissant de conserver la douceur sensuelle du matériau : à la sortie du four, son Florès était rugueux, un peu de polissage, et le voilà lisse comme la peau d’un bébé.
Retour au modèle rouge ?
La suite de la réalisation sera plus aisée : en réduisant la taille des pièces, les difficultés techniques s’aplaniront. Le temps lui-même jouera en faveur des prochains Florès, car ils sècheront plus vite – il avait fallu trois semaines après la cuisson au gaz pour que le premier perde son humidité. Mais il y a encore quelques inconnues qui peuvent venir bousculer le projet initial. Y aura-t-il sept sculptures au final ? Ou huit ? Le rouge viendra-t-il trancher avec la blancheur laiteuse du biscuit ? Au moment de notre rencontre, Schofield hésite : la pièce en cire de fonderie, d’un rouge profond, celle qui a servi de modèle, qu’il lui a fallu couper pour la transporter dans ses bagages puis reconstituer chez CRAFT, viendra-t-elle s’ajouter à l’ensemble ? La décision n’est pas prise. Il faudra revenir à l’automne pour le savoir. Je m’y engage, c’est certain, oui, je reviendrai.
(1) Cécile Gautier, responsable technique ; Frédéric Tardieu, assistant technique ; Pauline Male, responsable opérationnelle.