Wah Wing Chan, au milieu de la rue
Une craquelure au milieu de la rue, une pelote de fil de fer abandonnée, une lèpre sur un mur, une plaque de métal rouillée : il n’en faut pas plus pour stimuler la créativité de Wah Wing Chan.
Il lui arrive de prendre en photo ces marques ou ces objets qui lui font signe quand il marche dans la rue en route vers son atelier. Mais jamais il ne les reproduit tels quels. Il se déclare sensible à tout ce qui affecte son environnement, mais se réserve le soin de répondre à ces stimuli à sa manière.
Dessinateur, graveur et peintre, Wah Wing Chan restitue dans des nuances de noir sur fond bistre les formes abstraites que lui inspirent les paysages urbains qu’il traverse quotidiennement, toujours semblables mais jamais pareils, avant de se rendre à l’Atelier Circulaire, avenue De Gaspé à Montréal, où il travaille. Il esquisse les éléments de ses compositions sur des feuilles ; il les transpose sur des plaques de cuivre, sur des pierres ; il recourt aussi à diverses techniques destinées à produire des estampes, bien qu’il admette sa préférence pour la technique dite du Chine collé. L’élaboration dure un après-midi, mais peut s’étendre sur plusieurs journées.
Wah Wing Chan ne se contente pas d’imprimer ses gravures. Il se livre à un travail subtil qui le conduit à donner un caractère organique à ses créations. Il joue sur la gamme des noirs par addition et soustraction de pigments avec les doigts, au chiffon ou à l’aide d’un pinceau ; il applique des morceaux de feuilles encrées, il insère des collages… Il expérimente mille manipulations. Il obtient ainsi des images dont les enchevêtrements sont très complexes et difficilement déchiffrables. Leur lecture, cependant, révèle un monde où se concurrencent des masses noires et des masses moins noires. Elles rivalisent non seulement pour occuper l’espace, mais pour s’y mouvoir. Des filaments, torsades et rubans, eux aussi noirs, noirâtres et gris, tentent soit de se faufiler entre les taches, soit de les arrimer. Enfin, des chapelets composés d’îlots circulaires, de granules et de plasmides ponctuent les espaces libres et surtout s’agitent parfois avec frénésie auprès des sinuosités linéaires, cordages et lianes qui sillonnent et balafrent autant les étendues bistre du papier que les masses sombres qui structurent l’image dominante.
Il est étonnant de constater combien ces formes réussissent à constituer des ensembles harmonieux. « Quand je n’obtiens pas l’équilibre que je souhaite réaliser, mentionne Wing Chan, je mets la feuille de côté. Je la reprends quelques jours ou quelques semaines plus tard. Mais si je ne parviens toujours pas à un résultat qui me convienne, je jette le travail. »
Que cherche à représenter Wah Wing Chan ? « J’essaye d’exprimer, répond-il, l’usure des choses, leur décrépitude, leur érosion, leur changement au bénéfice de configurations originales qui, je l’espère, ressortent dans les images que je produis. » Cette explication justifie sans doute les titres donnés aux œuvres qui, sans cet éclairage, paraîtraient énigmatiques : Engagement, Joie, Ignition, Dualité, Attention, Dégel, Voltage…
Libre à qui le veut de distinguer dans les compositions de Wah Wing Chan des oppositions, des combats, des explosions ou bien de lentes métamorphoses ou les fruits de mutations patientes ou brutales. Mais peut-être faudrait-il commencer par observer une craquelure au milieu de la rue.