Le travail d’Yves Poulin entraîne ceux et celles qui l’observent et l’analysent sur la corde raide des enjeux de la peinture contemporaine. Dans le contexte actuel de remise en question du médium, ses œuvres offrent l’illusion de croquis dessinés à la craie. Peu de couleurs, peu de motifs. Pourtant, il s’agit encore de peinture. Tout en cherchant à détourner l’idée de la peinture, l’artiste s’obstine à renouveler le langage plastique pictural.

Les toiles d’Yves Poulin proposent une succession de personnages solitaires sur fond noir. Par l’utilisation de bâtons à l’huile et d’une toile texturée, la peinture se travestit en dessins sur ardoise. La valeur sémiotique de la craie confère aux œuvres un caractère pauvre, fragile et éphémère. Les êtres représentés semblent évanescents. Le choix du noir et blanc offre à l’artiste l’avantage d’approfondir les effets de jeu d’ombres et de lumières. Dans la toile Figure assise 3, la luminosité du motif contraste avec la forte vibration du noir en aplat qui laisse deviner l’accès à une pièce sans éclairage. Les propriétés de la peinture à l’huile utilisée pour cette ouverture, en opposition au fond en acrylique, ajoutent une perception de profondeur et de relief. Par sa densité et son uniformité, la couleur joue chaque fois un rôle structurant et fait ressortir le personnage sujet du tableau. En outre, par le traitement du clair-obscur, l’œuvre rappelle le phénomène photographique du négatif. Le caractère irréel de la lumière inversée produit une sensation étrange. Les figures deviennent fantomatiques.

À l’économie de couleur répond une éco­nomie de décor. Dans plusieurs des toiles, de simples lignes permettent la représentation efficace d’un sol et d’une porte tandis que dans Figure couchée 1, par exemple, seul le fauteuil joue le rôle d’accessoire de scénographie. Pour ces éléments, les moyens de représentation sont réduits au minimum : de simples traits. Les coups de pinceaux sont donnés de manière à prolonger ceux des personnages et ainsi étayer l’image. La figure se trouve alors étroitement liée au fauteuil et au cadre de porte qui agissent, non pas comme éléments de décor, mais comme continuité du motif. Le cadre de porte, qui revient dans plusieurs toiles, constitue une référence à Francis Bacon. Il participe, avec la couleur, à la construction d’un lieu resserré et intime, un espace symétriquement délimité. Cette armature est accentuée par la présence du fauteuil qui parachève le souci d’encercler, et donc d’isoler, la figure. Par un dernier sursaut de couleur, de rouge et de violet, l’artiste prête à cet encloisonnement une violence d’ordre plastique. L’introduction de ces touches agressives contraste avec la posture détendue des figures solitaires, assises ou couchées et, par là, vulnérables.

La stylisation des personnages semble contradictoire avec l’idée de capture du sujet. En effet, en se servant de chiffons et de solvants, le peintre a su imiter la texture d’une image tracée à la craie et en partie effacée. Par cette technique, il feint volontairement un geste accidentel, brouillé et bâclé. La matière, malléable et mouvante, se dérobe aux regards. Le fauteuil lui-même se volatilise : dans Figure assise 3, l’objet se transforme en paire d’ailes tandis que, dans d’autres œuvres, la simplification de sa représentation tend vers l’abstraction. Mais devant l’immobilité du personnage, figé dans l’instant, le mouvement se cristallise dans la matière. Ce n’est plus ici l’image qui est déformée, comme chez les peintres de la modernité, mais la peinture elle-même. Les œuvres d’Yves Poulin manifestent ainsi l’expression de la déliquescence contemporaine de la peinture en tant que forme d’expression. Ce propos est d’ailleurs accentué par la réappropriation d’images de tableaux anciens (le sofa Récamier de Jacques-Louis David ou bien le lustre du Mariage de Giovanni Arnolfini dans l’œuvre Figure couchée 3) : par leur aspect diaphane, elles agissent tels des spectres d’une peinture passée.

Le vide créé au dos des personnages solitaires réaffirme également le caractère indicible de l’art. Tout discours se dérobe face à cette représentation du néant, de l’ombre de la mort derrière chaque être. Le geste artistique, qui tente de piéger et de saisir cet « impossible à dire », est mis en échec, à la manière de ces figures éthérées et insaisissables. Dans son obstination à vouloir annuler le processus du temps, à capter l’instant fugitif, Yves Poulin choisit dès lors une peinture intuitive, immédiate. Par la craie et la spontanéité gestuelle du trait, il évoque l’univers de l’enfance. Le dynamisme qui se dégage ainsi des œuvres sert de métaphore : celle d’une peinture qui, au creux de son affaiblissement, reste paradoxalement hautement vivante.

YVES POULIN PIÈCES CONTIGUËS
Galerie Linda Verge, Québec