Depuis plusieurs années, nous observons en classe d’art de nouvelles modalités de création associées à l’essor des nouveaux médias et à la transformation de la culture juvénile et du champ de l’art. Notre interaction quotidienne avec les technologies prolonge nos sens (Richard, 2012), transforme notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes, tout en générant de nouvelles modalités de création. Les « gestes transformateurs » mobilisés couramment sur les plateformes numériques, tel le copier-coller, induisent un rapport postmoderniste à la création artistique1. Pourtant, la discipline des arts plastiques du Programme de formation de l’école québécoise repose sur l’évaluation de compétences et de savoirs modernistes. Vu ce décalage, comment envisager la formation des futurs spécialistes en arts visuels du milieu scolaire ainsi que l’accompagnement pédagogique des enseignants d’arts en exercice ?
Comme à la vision moderniste guidant encore de nombreux enseignants et programmes, des chercheurs d’envergure internationale comme Gude (2004) puis Duncum (2010) ont proposé des principes de création actualisés, tout en rappelant l’importance des sujets sociaux pour les élèves. Parmi ces principes se retrouvent notamment l’appropriation et la multimodalité2. Souvent accompagnées de textes, de sons ou de gestes qui ancrent leurs significations, les images sont rarement purement visuelles. Cela est encore plus vrai dans le contexte culturel, médiatique et sociétal actuel : mondialisé, hyperconnecté et participatif. Plus près de nous, l’équipe de recherche dirigée par la professeure Moniques Richard de l’UQAM propose un cadre conceptuel focalisant sur l’hybridité, la multimodalité et les pratiques de création informelles des jeunes. Visant à enrichir les pratiques en enseignement des arts, ces travaux de recherche permettent de réduire le décalage évoqué antérieurement et fournissent un gabarit solide pour préparer l’avenir dans notre domaine.
Il importe donc de réfléchir à de nouveaux principes et critères afin de guider, d’éclairer et d’évaluer la démarche de création des élèves d’aujourd’hui. Le temps d’une mise à jour est-il venu pour notre programme ?
Pour sa part, Andrée-Caroline Boucher a mis en pratique diverses solutions afin de composer avec cet écart et d’actualiser et accroître la pertinence de son accompagnement auprès des enseignants en arts. À titre d’exemple, pour expliquer le sens de la compétence I (« créer des images personnelles ») du Programme de formation de l’école québécoise, elle s’alimente aux pratiques d’artistes contemporains, alors que pour la compétence II (« créer des images médiatiques »), c’est l’univers des designers graphiques qui est mis à profit. Dans ses formations sont encouragés les gestes suivants : 1) calquer, puis transformer ce calque, pour obtenir une image qui correspond aux attentes du créateur tout en étant rapidement comprise par les destinataires. Il est alors question de la compétence II, dont le sens est enrichi si on l’aborde aussi sous l’angle de la multimodalité ; 2) transformer des images existantes en citant les auteurs de l’œuvre originale ; et 3) pasticher des œuvres avec son propre geste (pourrait-on alors parler d’une nouvelle compétence en art consistant à interpréter des images ?). Cette ouverture aux modalités de création émergentes nécessite de se délester de la censure et des interdits modernistes tels « ne pas calquer », « ne pas copier », « ne pas emprunter d’images », « ne pas tracer avec une règle », « ne pas exploiter le cliché (de façon ironique) », etc.
Il va sans dire que le programme de formation des élèves et ses critères d’évaluation ne facilitent pas la prise en compte des gestes transformateurs évoqués précédemment ni celle liée aux principes postmodernistes mis de l’avant par Gude, Duncum et Richard. Il importe donc de réfléchir à de nouveaux principes et critères afin de guider, d’éclairer et d’évaluer la démarche de création des élèves d’aujourd’hui. Le temps d’une mise à jour est-il venu pour notre programme ?