31e Symposium d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, bien sage
Le thème Agir, même tempéré par la phrase « Agir fait que le monde n’est pas fini », offrait une grande liberté d’action aux 12 artistes sélectionnés sur les quelque 125 qui avaient posé leur candidature pour participer au 31e Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul placé, pour la deuxième fois, sous le commissariat de Serge Murphy.
Si le résultat n’est pas la fin du monde, c’est-à-dire ne révolutionne rien, n’offre aucune révélation particulière, ne provoque nul coup de cœur, il place néanmoins le 31e Symposium de Baie-Saint-Paul parmi les événements réussis de l’été. Événement réussi en ceci que les artistes formaient un groupe équilibré et que chacun d’entre eux a réalisé une œuvre marquée par une claire cohésion. Une œuvre, à tout le moins, menée à terme.
Deux caractéristiques marquent le 31e Symposium. Tout d’abord, il est frappant de constater que les œuvres ont toutes en commun d’être constituées d’accumulations d’objets souvent hétéroclites. Et puis, un peu comme l’an dernier, il est possible de distinguer deux camps égaux : celui des tenants de productions en kiosque fermé (Philippe Allard, Eruoma Awashish, Barbara Claus, Mathieu Latulippe, Matt Shane, Azadeh Tajpour) et celui de ceux favorables au travail dans des stands ouverts (Marjolaine Bourgeois, Pierre Durette, Karine Payette, Kai Chan, Dominique Angel). L’installation de Giorgia Volpe constitue un cas particulier puisqu’elle est à la fois confinée entre les quatre murs de son espace de travail et ouverte, proliférant un peu partout dans l’enceinte du symposium.
L’accumulation, la juxtaposition, l’empilement, la succession d’objets ont pour principaux mérites de piquer la curiosité du visiteur qui ne cesse de découvrir, comme dans une chasse au trésor, des éléments nouveaux dans l’œuvre qu’il s’efforce de décrypter. À ce jeu, les rapiècements de Marjolaine Bourgeois constituent des rébus qui sont des merveilles de virtuosité, et les débris (bouteilles vides, boutons, clous, etc.) répandus au sol au bout de centaines de fils blancs tendus tels des haubans à partir d’une mosaïque d’images d’un pénis en érection de Kai Chan forment les étranges restes d’un naufrage. Moins heureux, l’accrochage des petites toiles de Pierre Durette (cheval de manège, tigre, abstraction, combat de coqs) disposées en triangle donne à voir les matériaux (sages, bien trop sages) dont disposeront des archéologues dans des milliers ou des millions d’années pour évoquer notre culture quand notre civilisation se sera éteinte. En attendant, Eruoma Awashish, artiste amérindienne, accumule les signes destinés à concilier l’héritage catholique dont elle se réclame et les traditions autochtones dont elle est imprégnée, juxtaposant crucifix, ailes et plumes d’oies sauvages, ainsi que des toiles où se succèdent cercles dorés sur fonds rouges, symboles de passions et de souffrances dans la circularité même de son espace d’exposition. Plus ludique, imaginé par Karine Payette, le trou noir ou ce qui en tient lieu, soit une vaste toile représentant un plancher évasé (celui d’une cuisine) où s’engouffrent table, chaise et appareil ménager fait sourire le visiteur. Signes de détresse, les traces laissées sur les murs de son atelier par Barbara Claus (dessins à la craie, au graphite, à l’acrylique, au plâtre) ne seront à jamais visibles que sous forme de souvenirs photographiques, car tel est le destin des œuvres éphémères. Joli clin d’œil aux avant-gardes que la colonne en Hommage à la 18e Internationale du Français Dominique Angel. Il a superposé de guingois deux pots de fleurs d’où tentent de s’évader des oursons, un cube blanc (symbole de l’art contemporain) où il est écrit Que faire non de dieu, un nuage et une tour de Tatline (Monument à la Troisième Internationale). Bien que tordue, la colonne de plâtre blanc défie la gravité. Quoi de plus naturel pour une œuvre « si peu sérieuse » ?
Sans surprise, tirant parti du thème Agir, certains artistes ont abordé des questions à caractère social, écologique, politique exprimant ainsi leur « engagement » contre la société de consommation, pour la protection des espaces naturels, contre la guerre, pour la liberté. Cette option a malheureusement pour effet de réduire la portée de leur production à des messages idéologiques prévisibles et bien pensants. Au moins le décryptage est assez facile pour le visiteur. Champion de la récupération, Philippe Allard a conçu une rosace qu’il a baptisée Transition. Elle est constituée de paniers cubiques en plastique de diverses couleurs. Il l’a déposée sur le parvis de l’église de Baie-Saint-Paul en attendant qu’elle se dote d’une rosace avec de vrais vitraux. De retour à l’aréna, il s’est cloîtré dans son kiosque pour y encadrer des plaques de carton alvéolé : ironique, mais dérisoire action de recyclage. Avec un matériau presque semblable (polystyrène expansé), Mathieu Latulippe dresse une sculpture qui est une fusion de Monument Valley et des restes de Petra (Jordanie) pour évoquer un Paradis perdu : hélas, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, et son tombeau brun n’est pas très convaincant. Apocalyptique, le paysage en flammes de Matt Shane encercle le visiteur. Le coupable ? L’abominable hydre qui canalise le pétrole, défigure l’environnement et attise un inextinguible incendie : le message est brûlant. Plus subtile, Azadeh Tajpour, artiste d’origine iranienne établie aux États-Unis, transpose à la mine de plomb sur de simples feuilles de papier épinglées au mur des clichés en noir et blanc provenant de drones. Les lieux qu’elle montre sont des cibles : rien ne permet de deviner qu’elles ont été touchées, mais rien ne prouve le contraire : terrifiant !
La palme de la fantaisie revient à Giorgia Volpe. Elle a réalisé une installation dont le matériau principal est le ruban magnétique de cassettes audio et vidéo. Ce support d’enregistrement sonore et visuel est aujourd’hui désuet. Ce qu’il contient (chansons, films, reportages, paroles) est désormais quasiment sans valeur. L’artiste a débobiné des centaines de mètres de ruban. Elle en a fait des résilles géantes, des rideaux et des filets dans les mailles desquels elle invite le visiteur à se laisser piéger tout en lui offrant d’écouter ou de regarder des chanteurs d’autrefois et des prédicateurs qui annoncent… la fin du monde. Très drôle !
Certes, le 31e Symposium d’art contemporain de Baie-Saint-Paul répond bien à sa mission principale qui consiste à instaurer une rencontre entre les visiteurs et les artistes au travail. Il faut féliciter son commissaire, Serge Murphy, d’avoir su transmettre aux 12 artistes l’endurance nécessaire à un mois de production et d’avoir soutenu leur confiance en leur capacité créatrice. Les guides médiateurs ont fort bien facilité le rapprochement des visiteurs avec les artistes. Tous les ingrédients ont été au rendez-vous. Mais d’où provient le sentiment de kermesse un peu triste que distille un séjour un peu prolongé dans l’aréna ? Sans doute du lieu lui-même. Alors, ne serait-il pas temps de délocaliser le Symposium ?
31e SYMPOSIUM D’ART CONTEMPORAIN DE BAIE-SAINT-PAUL AGIR
Commissaire : Serge Murphy
Aréna de Baie-Saint-Paul
Du 2 août au 1er septembre 2013