32e Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul. Perdu, inventé, retrouvé
Autant dire d’emblée que les douze artistes invités au 32e Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul ont tous traité le thème proposé par le directeur artistique Serge Murphy : Le temps à l’œuvre. Donc, pas de mouton noir dans cette cohorte. Il faut dire aussi sans tarder que la question du temps (dans son acception de durée) compte parmi les plus faciles, en ceci qu’elle est intrinsèque à toute création artistique. La difficulté alors consiste à réaliser une œuvre qui déjoue la prévisibilité — le déjà-vu, si l’on préfère —, principal écueil d’un tel thème. Tous les artistes n’y sont pas parvenus, en tout cas pas avec le même bonheur ni le même panache.
La 32e édition du Symposium, à l’instar des deux précédentes également dirigées par Serge Murphy, est marquée par un clivage qui lui confère une part majeure de son intérêt. En effet, en 2012, on pouvait distinguer le camp du trop qui s’opposait au camp du peu ; en 2013, les artistes étaient partagés entre ceux qui travaillaient en atelier ouvert et ceux qui s’étaient cloisonnés. En 2014, les deux camps ne sont pas égaux en nombre, car seuls Frédéric Lavoie et Sarah Pupo et, à la rigueur, The Gullivers ont recours à des outils technologiques, tandis que leurs collègues exaltent l’œuvre réalisée à la main. Cependant, le véritable clivage est plus subtil, il se glisse entre les artistes pour lesquels la création s’étire dans le temps et dont le temps est le matériau et ceux dont l’œuvre s’inscrit comme un commentaire du temps ; certains d’ailleurs jouent sur les deux registres.
Dans la première catégorie, Myriam Dion se livre à une laborieuse activité de dentellière en ciselant à la lame d’exacto de minuscules fentes à même les pages de quotidiens (The Gazette, Le Devoir) ; ainsi se sert-elle d’un support inscrit dans le présent (le journal) pour élaborer chaque fois une pièce qui est le fruit d’une singulière patience : le clin d’œil au travail des femmes du XIXe siècle et à l’habileté propre à tout savoir lié à tout artisanat saute aux yeux.
Sara A. Tremblay a choisi de rappeler la chute de la météorite qui, en s’écrasant au sol, a créé, il y a des millions d’années, le cratère qui aujourd’hui abrite Baie-Saint-Paul. Elle est régulièrement allée recueillir de l’argile au bord du fleuve Saint-Laurent et en a fait une boule qu’au fil des trente jours du Symposium elle a progressivement amplifiée au point qu’il a fallu une pelle mécanique – comme en témoigne le court-métrage qu’elle a réalisé – pour rendre au fleuve la sphère qu’elle a produite. Œuvre éphémère pour un temps immémorial.
C’est un travail du même ordre, quoique très intériorisé et plus en rupture avec le réel, auquel s’est astreint Paul Hardy. Peintre abstrait, il a notamment élaboré un tableau de grand format en superposant des taches de couleur jour après jour en jouant sur les effets de transparence pour justifier l’écoulement du temps. Ainsi, la peinture qui en résulte atteste, certes sous une forme symbolique, sa propre histoire. Malheureusement, cette mesure demeure insuffisante pour susciter une connivence avec les visiteurs.
Simon Bertrand, lui, s’est mis en tête de transcrire la Bible sur une feuille de papier de dimension murale. Jolie prouesse que ne soutient pas une calligraphie assimilable à des pattes de mouche si menues qu’elle exige une loupe pour être déchiffrée. De loin, l’œuvre donne à voir une surface grise. L’artiste a entrepris de recopier aussi l’Iliade et d’autres écrits fondateurs de la culture occidentale universelle. Il exposera l’ensemble un jour. Patience.
Parmi les échecs flagrants figurent le journal mural de Michèle Waquant constitué de photographies et de courts textes de circonstance illustrant chaque journée du mois, ainsi que le montage de Frédéric Lavoie réalisé à partir de coupures du magazine Mainmise. Les dessins quotidiens sur fond d’étoile rouge du tandem The Two Gullivers et des enfants du couple Flutura et Besnik Haxhillari rappelant l’oppression communiste qui a écrasé l’Albanie n’ont rien de bien exaltant non plus ; ils ont néanmoins l’avantage d’attirer finement l’attention des visiteurs sur la douceur que peut avoir la vie au Québec.
Trois artistes ont conçu une œuvre qui se présente comme un commentaire critique du temps. Pour eux, le temps est appréhendé comme une contrainte avec laquelle il convient de composer. José Luis Torres a pris le parti de se moquer un peu de cette inéluctable condition. Il a réalisé des sculptures qui répondent à la logique de l’accumulation. Par exemple, il a agencé des cônes orange qui balisent les travaux routiers en une sorte de virus géant. C’est drôle, un peu effrayant et… convaincant.
Brett Amory s’est donné pour objectif de « montrer plus que ce que montrent ses tableaux ». Par exemple, il a peint des portraits où, avec un peu d’effort, un observateur pourrait reconnaître les personnes représentées seulement par quelques traits du visage. L’artiste fait preuve d’un subtil sens de l’humour, puisque seuls quelques intimes seraient susceptibles de les reconnaître. En revanche, tout le monde peut parfaitement remarquer l’altération que le temps (et non l’artiste) fait subir à ses images.
Uday Shanbhag a eu l’idée de peindre des fleurs de la passion. Elles ont la particularité de posséder des pétales rappelant une montre, les pistils figurant les trois aiguilles. Avec une grande sobriété, l’artiste reproduit ces cadrans d’horloge dans des tons délavés. C’est simple, frais et très minimaliste.
À cheval entre l’expression du temps- matériau et du commentaire sur l’écoulement du temps s’illustrent Conor Fagan et Sarah Pupo. Le premier accumule des objets kitsch glanés chez des brocanteurs et se livre à un travail d’improvisation d’où surgit une histoire dont l’interprétation est laissée à l’interprétation de l’observateur. Sarah Pupo réalise des films d’animation à partir d’aquarelles gestuelles qu’elle juxtapose et superpose. Elle les photographie sous divers angles, monte ses images grâce à un logiciel Stop Motion et projette le résultat sur un écran. Les effets sont séduisants, et il serait vain de trouver le moindre sens aux histoires qui jaillissent abruptement devant les yeux.
Le cycle de trois ans mené par Serge Murphy s’est donc achevé avec une édition très équilibrée. De plus, le Symposium a enregistré une nette augmentation du nombre de ses visiteurs. Il retrouve ainsi une légitimité qu’il avait presque perdue.
32e SYMPOSIUM INTERNATIONAL D’ART CONTEMPORAIN DE BAIE-SAINT-PAUL LE TEMPS À L’ŒUVRE
Commissaire : Serge Murphy
Aréna de Baie-Saint-Paul
Du 1er au 31 août 2014