57e Biennale de Venise
Priorité aux artistes
C’est l’artiste qui est au cœur de la 57e exposition internationale d’art contemporain de la Biennale de Venise. Oui, l’artiste, sa personne, son rôle, son travail, ses interventions. Ainsi, la Biennale confirme une fois de plus sa prépondérance en tant qu’événement phare pour susciter dialogues et réflexions à propos de la fonction de l’art contemporain.
Avec Viva Arte Viva, la commissaire Christine Macel offre une exposition conçue « par les artistes et pour les artistes ». Traitant du processus artistique et de la multiplicité des formes que l’art emprunte, c’est une exposition inspirée par l’humanisme où l’art est perçu non comme une forme de résistance radicale contre les pouvoirs qui gouvernent le monde, mais plutôt comme un terrain propice à l’expression individuelle, une force tranquille qui opère pour le bien de la société. L’art comme un des derniers bastions de l’humanité.
Regroupant le travail de quelque 120 artistes, l’exposition principale prend la forme d’un voyage qui mène le spectateur le long d’un parcours jalonné par neuf pavillons qui se succèdent comme les chapitres d’un livre, ne se concentrant pas sur un discours fixe, mais présentant plutôt une pluralité de voix et de pratiques. Le Pavillon des artistes et des livres et le Pavillon des joies et des peurs se trouvent dans le Pavillon central des Giardini, tandis que les sept autres pavillons sont agencés selon un trajet organique qui traverse l’Arsenal. S’y trouvent notamment les dessins représentant des scènes de vie inuk, de Kananginak Pootoogook, qui devient le premier artiste inuit à compter des œuvres à la Biennale dans une exposition principale. Y figurent également des photos et une vidéo sur les états seconds de l’artiste Jeremy Shaw, originaire de Vancouver, et le travail de l’artiste montréalaise Hajra Waheed, qui explore le thème de la migration.
La Biennale réunit les pavillons de 86 pays, dont pour la première fois le Nigeria, Antigua- et-Barbuda et Kiribati.
Le Canada est représenté par l’artiste Geoffrey Farmer (dont la commissaire est Kitty Scott) qui, profitant de la restauration prochaine du Pavillon du Canada, a pris l’audacieuse liberté de dépouiller le bâtiment d’une partie de son toit et de ses parois vitrées, découvrant ainsi sa structure et le transformant par ce fait en sculpture.
71 planches de bois
Avec Une issue à travers ce miroir, l’artiste continue de travailler avec les notions d’accident et de collage qui sont intrinsèques à son œuvre. Une photo du camion accidenté de son grand-père, ayant heurté un train et s’étant vidé de son cargo de 71 planches de bois, sert à l’artiste d’élément déclencheur de sa réflexion et de son travail. Cherchant à se libérer de moments douloureux ou porteurs de sens, Farmer les évoque par l’amalgame d’éléments matériels : les 71 planches de bois, l’horloge, la hache, la bêche, le burin, le pieu, la fontaine maure du San Francisco Art Institute, la mante de Germaine Richier, une phrase d’Allen Ginsberg… La rencontre de tous ces objets-souvenirs produit ainsi une collision dont la force déclenche un geyser de 15 mètres de haut, explosion qui peut aussi être vue comme le gisement de larmes surgi à la suite de la libération de souvenirs et d’événements difficiles.
Le résultat final reste toutefois très respectueux du lieu et empreint d’une belle sensibilité en usant de la symbolique de l’eau et du bois pour créer une fontaine publique qui représente adéquatement le Canada tout en cadrant bien avec le contexte vénitien.
Le Pavillon de l’Allemagne, conçu par l’artiste Anne Imhof, lauréate du Lion d’or pour la meilleure participation nationale, aura beaucoup fait parler de lui. Avec une mise en scène et une chorégraphie d’une froideur chirurgicale, Imhof aborde les sujets de la surveillance, du contrôle et de la servitude. À l’intérieur, les spectateurs se promènent sur un plancher de verre surélevé sous lequel de jeunes gens vêtus de noir se promènent à quatre pattes, accomplissant des tâches à la limite de l’animalité et de la domesticité. Derrière des vitres givrées, d’autres figures chantent et font de la musique à l’aide d’instruments utilitaires et étranges. Certains performeurs circulent parmi les spectateurs ou sont prostrés comme des âmes souffrantes qui ont perdu toute force et toute confiance. Le visiteur se voit donc devenir malgré lui un voyeur ; or, ce nouveau statut qu’il accepte tacitement lui confère un certain pouvoir qui installe un malaise troublant et grandissant. L’œuvre Faust d’Imhof se veut ainsi une critique de la condition humaine dans un monde capitaliste dépourvu de toute spiritualité où l’argent règne en maître, où l’âme n’existe plus et où le corps devient un objet de consommation.
Attirer l’attention
Au Pavillon Alvar Aalto, les artistes finlandais Nathaniel Mellors et Erkka Nissinen ont recours à l’humour et à la satire pour aborder des thèmes sociaux tels que le nationalisme et la xénophobie. Dans un environnement immersif complètement déjanté, les personnages messianiques Geb et Atum (un œuf gigantesque et un demi-dieu qui a pour tête une boîte de carton) racontent l’histoire de leur retour en Finlande plusieurs millions d’années après l’avoir créée. Alliant sculpture animatronique, vidéo HD, animation et marionnettes à la Jim Henson, l’installation présente une série d’épisodes, qui, sous l’artifice du ridicule, offrent un commentaire mordant sur la société finlandaise et l’identité nationale.
L’artiste Candice Breitz propose Love Story au Pavillon d’Afrique du Sud, une installation vidéo qui raconte l’histoire de 6 individus qui ont quitté leur pays pour fuir l’oppression. Dans une première salle, des extraits de ces histoires sont racontés par deux acteurs américains connus, Alec Baldwin et Julianne Moore. Puis dans une deuxième salle plus spacieuse, sont diffusés les témoignages complets relatés, cette fois, sur 6 écrans par les individus qui les ont vécus. L’installation se sert ainsi de la notoriété des acteurs pour mettre l’accent sur ces récits personnels qui autrement attireraient peu l’attention du public, tout en questionnant notre rapport à l’empathie dans un monde où notre dépendance aux médias nous pousse à nous identifier à des personnages fictifs et, par là, à nous désintéresser complètement de personnes réelles qui font face à l’adversité.