8e Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières. Les quatre coins du monde
« Il y en a pour tous les goûts », me disait en me quittant Élisabeth Mathieu, la directrice artistique de la Biennale, que j’avais rencontrée de façon impromptue alors que je commençais ma visite au Centre Raymond-Lasnier. Après avoir visité les quatre lieux d’exposition, je peux témoigner de la véracité de son propos.
Il faut savoir que « en », dans ce cas précis, représente 330 œuvres réalisées par 58 artistes de 22 pays. Mais la variété dans les techniques utilisées et dans les sujets traités mérite, elle aussi, d’être notée. C’est bien de goût, c’est-à-dire de plaisir esthétique, dont il s’agit. Or, celui-ci est, en quelque sorte, garanti au visiteur, puisque les œuvres ont été sélectionnées par un jury de spécialistes. Certaines, plus accessibles – selon la formule consacrée – permettent au néophyte de se familiariser avec l’art contemporain, tandis que d’autres, qui se situent dans la mouvance de l’art actuel, font les délices de l’amateur d’art.
C’est parce que la majorité des œuvres est imprimée sur papier que la Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières peut exposer des œuvres qui proviennent de tous les coins du monde. Les frais de transport étant minimes, beaucoup d’artistes de pays peu reconnus sur la scène de l’art contemporain profitent de cette occasion pour montrer sous un nouveau jour leur pays natal. Certains ont choisi l’angle de l’humour. C’est le cas du Thaïlandais Kraisak Chirachaisakul, qui a obtenu le Grand Prix de la Biennale. Dans l’estampe en mezzotinte intitulée Bappajja, il a représenté un moine habillé de la traditionnelle robe orangée, assis dans la posture du lotus, dont les yeux sont dissimulés par des lunettes de soleil totalement inutiles dans le temple dans lequel il se trouve. Quant à l’Indien Sonal Varshneya, il fait porter une mini-jupe à la déesse Durga (Shakti) – qui incarne les pouvoirs divins féminins – dans sa série de triptyques en eau-forte et collagraphie intitulée Celebration. Il dit vouloir ainsi « réagir à l’évolution des consciences face à l’émancipation féminine ». D’autres, en revanche, ont saisi cette occasion pour transmettre un message politique sans ambigüité. L’Australien Rew Hanks, dans sa linogravure intitulée King Bungaree at the Bottle Tree, a représenté un aborigène, pieds nus, vêtu d’un uniforme militaire. Celui-ci avait été « couronné » roi par le gouverneur d’alors, qui lui avait octroyé 15 acres de terre en guise de remerciement pour les précieux services qu’il avait rendus comme guide. La frontière qui sépare le Mexique des États-Unis est souvent – on le sait – le théâtre d’événements violents. Il n’est donc pas étonnant que la Mexicaine Marisa Boullosa y fasse clairement allusion dans la belle série intitulée Frontera herida. Dans l’œuvre éponyme – plaque solaire, Chine collé –, l’artiste juxtapose dans une facture très contemporaine l’image d’un bras tatoué dont la paume révèle plusieurs points de suture, des roses, le dessin anatomique d’un cœur et un fragment de document comportant des noms et des chiffres.
Il arrive aussi que des artistes, grands voyageurs – comme l’ont de tout temps été les artistes –, évoquent les pays dans lesquels ils ont séjourné. C’est le cas du Québécois Sam Kerson, qui a précisément vécu au Mexique. Il oppose lui aussi le Mexique et les États-Unis. Dans une linogravure intitulée Plan Merida dans laquelle hommes, armes, champs et camions se côtoient de manière presque étouffante, « Exporting chaos » fait face à « Importing cocaine ». Aucune tension, en revanche, dans la magnifique série d’eaux-fortes intitulée Réminiscence réalisée par le Japonais Sadao Sakurai à la suite d’un séjour en Cappadoce. Les formes étranges des rochers vus à travers l’ouverture d’une grotte semblent sorties d’un tableau surréaliste. D’autres artistes, quel que soit leur pays d’origine, s’identifient avant tout comme des citoyens de la planète Terre et veulent, par leurs œuvres, sensibiliser le spectateur à l’écologie. Il n’est pas question de la croissance du PIB, mais de celle des organismes vivants dans l’installation de l’Étatsunienne Marilee Salvator intitulée Growth Patterns. L’artiste s’inspire de la nature et de la biologie pour créer des formes qui évoquent aussi bien des cellules que les cercles de croissance d’un arbre. Disposées sur le mur, elles donnent l’impression qu’un immense joyau a laissé échapper sur le sol quelques pierres semi-précieuses. Enfin, rien de ce qui est humain n’étant étranger aux artistes, certains transposent en image l’affect. La Française Marie Boralevi exprime le côté possessif de la passion dans l’estampe très noire – à tout point de vue –, intitulée Camisole amoureuse, dans laquelle la tête d’une femme est en partie recouverte par la toison d’un animal non identifiable tandis qu’une main traverse son corps. Quant à la Belge Chantal Hardy, elle propose aux visiteurs d’intervenir sur l’une de ses xylographies pochoir, qui rappellent les peintures à numéro, intitulées Du cœur à tout prix.
Je voudrais conclure en priant mes lecteurs de ne pas tirer sur la critique qui n’a commenté aucune des œuvres, pourtant remarquables, de François Morelli, Pierre Durette, Arthur Desmarteaux et Allison Moore… J’ai préféré leur rapporter des images des quatre coins du monde. J’espère qu’ils me comprendront et qu’ils comprendront aussi que la Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières est un événement qu’il ne faut jamais manquer.