Bien sûr, comme d’habitude, l’exposition de sculptures et d’installations réparties dans le boisé du site constitue l’élément dominant du symposium. Comme il y a vingt ans, René Derouin en a confié le commissariat à Andrée Matte, aujourd’hui directrice du Musée d’art contemporain des Laurentides. Elle s’est fort bien acquittée de la tâche en réunissant sept artistes aguerris dont les origines symbolisent une Amérique qui voudrait théoriquement s’étendre de « la Patagonie aux glaces du Nord canadien ».

Chacun à leur manière, les sept artistes sélectionnés ont clairement répondu au thème imposé. Leurs œuvres très différentes les unes des autres ont néanmoins en commun la même intention : proposer un moment de réflexion ponctuel sur ce que le visiteur pourrait consi­dérer d’une façon large comme le rêve américain. Dans cette optique, Carlos Runcie Tanaka (Pérou) réussit le mieux à exprimer l’étendue et le morcellement du continent. Il a eu l’idée d’enrouler les couleurs du drapeau de chacun des quelque 41 pays et nations des Amériques sur un mât qu’il a chaque fois assujetti à un arbre. Il égaye ainsi la verdure monochrome et ombragée du boisé que gagnent la joie et la lumière d’une fête. En même temps, les promeneurs se surprennent à jouer à deviner à quel pays appartient le drapeau devant eux, confondant forcément Cuba, Costa Rica et les États-Unis dont les couleurs sont les mêmes : bleu, blanc, rouge. Joëlle Morosoli (Québec) endosse la culpabilité d’avoir brutalement colonisé les nations premières des Amériques. Au-dessus d’un axe métallique suivant un plan incliné habillé de tissus chatoyants, elle a placé cinq lames que le visiteur peut actionner pour cisailler les étoffes qui symbolisent les cultures amérindiennes et la chair même des Amérindiens. Les lames sont frappées des blasons de l’Angleterre, de la France, de l’Espagne, du Portugal et des Pays-Bas. Dans le même esprit, mais sur un mode plus minimaliste et surtout plus équivoque, Lea Bucknell (Colombie-Britannique) a planté un panneau où l’on peut décrypter en lettres majuscules les mots : MIGRATION, CIRCULATION, RECONFIGURATION. Beaucoup plus ambitieuse, « H », l’œuvre de Minerva Ayon (Mexique) rappelle le silence qui nie la violence systématiquement occultée dans son pays et que traduisent les éclats de miroirs brisés, les écrans translucides, les fenêtres aux rideaux troués. Des lunettes de mica donnent aux visiteurs le plaisir d’avoir devant les yeux des effets de diffraction très esthétiques qui brouillent la beauté du mal installé au détour d’une paisible clairière. Le temple vaudou monté par Damas Porcena (Haïti) est l’œuvre la plus symbolique du Symposium. Sur une forme humaine schématisée au sol se dresse un arbre où sont ficelées trois chaises qui représentent les trois Amériques. Un cœur fait office de tête ; des cases bordées de cordages délimitent une sorte de marelle définissant le parcours initiatique que constitue toute vie. Dans un registre plus sérieux, mais aussi plus revendicateur, Richard Purdy (Québec) a élevé une haute et impénétrable tour en bois d’ipé (bois très résistant) qu’assiègent en vain des pièces de puzzles éparpillées tout autour. À proximité de l’œuvre, l’artiste a disséminé des affichettes portant l’inscription « Propriété privée » pour renforcer son message. C’est sur une note ludique et reposante que s’achève la randonnée au milieu des hamacs bleu fluorescent que Giorgia Volpe (Brésil / Québec) a tressés avec les tubulures qui servent à canaliser la sève des érables au printemps. L’effet de brillance contraste avec le fond vert et brun du boisé.

Assurément, la version 2015 du Symposium Art-Nature consacre la qualité technique et professionnelle de l’événement. Les artistes recrutés cette année sont solides. Sans doute René Derouin, directeur artistique, défend-il avec succès l’orientation pédagogique du symposium dont la fonction d’initiation à l’art contemporain est indéniable. Cependant, les prochaines éditions gagneraient à faire preuve de plus d’audace. Il serait intéressant, par exemple, de montrer combien les relations entre l’art et la nature sont conflictuelles, combien leur harmonie est précaire. À cet égard, les œuvres de Richard Purdy et de Joëlle Morosoli, dont les matériaux résistent aux intempéries, ont des chances de survivre plus longtemps que les autres. 

AMÉRICANITÉ
Symposium international d’art-nature multidisciplinaire 2015
Commissaire : Andrée Matte
Les Jardins du précambrien, Val-David
Du 4 juillet au 12 octobre 2015