Anne-Karin Furunes. Comme des millions de gens
Anne-Karin Furunes, née en Norvège en 1961, est l’une des artistes les plus connues de son pays. Elle participe depuis près de 28 ans à de nombreuses expositions personnelles et de groupe tant en Europe qu’aux États-Unis, en Australie et en Chine. Pour la première fois à Montréal, en octobre 2013, près d’une douzaine d’œuvres sont présentées à la Galerie de Bellefeuille, qui permettront de découvrir la technique originale que l’artiste a développée lors de ses études à la National Academy of Arts d’Oslo en 1993-1994. Elle perfore la toile ou la plaque d’aluminium, de grand format, à l’aide de milliers de trous, un travail long et patient, une sorte de pixellisation de l’image, toujours en noir et blanc, qui n’est pas sans rappeler la trame des pages des journaux imprimés. Le blanc de l’œuvre est celui du mur situé derrière elle, et l’alternance du noir et du blanc produit un effet de compositions en demi-teintes. Le support ainsi troué se transforme en une sorte de filtre à travers lequel le spectateur perçoit l’œuvre qui, vue de près, semble abstraite et qui atteint un réalisme étonnant aussitôt qu’on s’en éloigne quelque peu. Lorsque le spectateur se déplace, l’image semble se modifier à son tour. Un dialogue s’établit alors entre l’environnement, la lumière et celui qui contemple l’image.
Les visages constituent pour Anne-Karin Furunes une inépuisable source d’information. Elle a tout d’abord utilisé des portraits extraits de son album familial pour réaliser ses premières œuvres. La seconde étape l’a conduite à étudier l’histoire de son pays et des pays voisins et à se pencher sur des archives de la Seconde Guerre mondiale, particulièrement des photos prises pour documenter la race, la religion et le sexe de personnes destinées à être déportées ou stérilisées, tristement révélatrices d’une des pages les plus sombres du XXe siècle. Figurent également des photos de femmes qui prirent part à la courte et tragique guerre civile qui se déroula en Finlande au printemps 1918. Dans cette dénonciation de la cruauté des temps modernes, le cadrage serré et la frontalité enlèvent tout effet tragique aux visages et renforcent particulièrement le regard. Dans certaines œuvres de format horizontal, seuls les yeux sont représentés. Réservés, parfois pensifs, affichant un air légèrement surpris ou un sourire à peine ébauché, ces jeunes hommes et ces jeunes femmes ignoraient sans doute le sort qui les attendait et ne révèlent rien de leur vie. L’usage de portraits doubles, de face et de profil, qui rappellent les photos prises par la police, souligne la fragilité des sujets ainsi montrés.
Que ce soit dans ces images d’archives ou dans des photos qu’elle prend dans son entourage, celles d’individus ou de groupes familiaux en excursion, Anne-Karin Furunes cherche avant tout à nous rappeler la beauté, la vulnérabilité et l’humanité des gens, que l’on retrouve tout aussi bien dans les portraits de jeunes soldats allemands qui occupèrent la Norvège de 1940 à 1945. Le travail de l’artiste confère à chacune de ces représentations une dignité qui rappelle la place indispensable de la compassion et de l’humilité, tant dans nos actes que dans les idéologies que nous professons.
Au cours des quinze dernières années, la technique d’Anne-Karin Furunes est devenue de plus en plus expressive, car toujours mieux maîtrisée avec l’alliance d’une précision visuelle et d’une esthétique raffinée. L’artiste, qui enseigne à la Trondheim Art Academy de Norvège, a réalisé plusieurs œuvres publiques, portraits ou paysages, dont l’intégration à l’environnement témoigne avec éloquence des connaissances qu’elle a acquises au cours de ses études d’architecture. On les retrouve aussi bien dans une station de métro que sur une plate-forme pétrolière, dans des immeubles commerciaux ou des restaurants. Certaines œuvres sur plaques d’aluminium peintes et perforées comme des toiles acquièrent une dimension sculpturale, un aspect que l’artiste approfondit à l’heure actuelle.
ANNE-KARIN FURUNES
Galerie de Bellefeuille, Montréal
Du 5 au 15 octobre 2013