Art Mûr
À l’enseigne de l’efficacité

Quel est l’imaginaire qui vient, celui qui façonnera le monde de demain ? Quelles visions, quels dialogues artistiques préoccupent les artistes émergents, qui par leurs créations décomposent les formes ou en constituent de nouvelles ? En sélectionnant des œuvres de la production estudiantine pancanadienne annuelle, c’est un peu à ces questions que tente de répondre l’exposition estivale de la galerie Art Mûr depuis douze ans.
Les œuvres de quarante-quatre artistes issus de quatorze établissements où l’on enseigne les arts, parmi la centaine que compte le Canada, composent la 12e édition de Peinture fraîche et nouvelle construction. Elles ont été choisies par les dirigeants de la galerie Art Mûr selon des critères relevant d’un art contemporain souvent pop, d’un figuratif décalé, ironique et critique.
Ces productions laissent deviner le désir de se distinguer qui anime leurs auteurs ; ceux-ci affichent parfois ouvertement leur affiliation à l’enseignement qu’ils ont assimilé ; ils prolongent ainsi une histoire de l’art dont ils donnent un écho rafraîchissant.
Avec talent et lucidité, ils se sont approprié les éléments du langage de la peinture, de la sculpture ou de l’installation sans toutefois, malgré la diversité des approches, faire preuve d’une incision marquante ou provoquer un choc bouleversant. On en jugera avec quelques exemples.
Erika Stonehouse, avec des variations sur les natures mortes montrant un sac de bretzels ouvert sur une tablette de siège d’avion ou un téléphone public, ou Paul Chartrand, par des dessins de bouts de paysages intégrant un déchet (emballage de chips ou de bonbon) comme figure centrale, l’un et l’autre jouent sur les codes de représentations et testent leurs limites : ils trafiquent les objets – leur nature et leurs symboles. Ces interrogations et le lien entre l’artiste et sa création sont directement exprimés par la sculpture tissée (en 2D) hyperréaliste d’une jeune femme et celle d’un lapin en peluche non loin, dont des mains dessinées terminent le rembourrage, intitulées respectivement Altered State et Gepetto, d’Anne Belley. Certaines propositions manquent de subtilité, mais se démarquent : la cage arabesque peinte en noir à taille humaine avec la mention « Entrez SVP. Fermez la porte » en anglais et arabe, intitulée Outcry #2 de Zahra Baseri, ou bien les armes peintes déposées sur des oreillers face à face des Pillow talk d’Erin Vincent. D’autres œuvres collent d’un peu trop près au titre de l’exposition : mur de brique peint sur toile, matériaux de revêtement, habit de construction et maquette architecturale semblent se trouver là pour leur expression littérale et non pour leur force intrinsèque.
Par contre, les peintures de structures de bois à la fois impossibles et peintes avec précision d’Olivier Moisan-Dufour sont tout à fait à leur place dans l’ensemble, en entraînant le spectateur dans un monde en soi. Belles réussites aussi dans les mises en abîme très simples soulignant l’ironie d’Amanda Arantes ; dans Twofold, elle prend les mots comme matière première : « If you want to bail, bail early » (bail en anglais signifiant la mise en liberté sous caution ou s’éjecter, voire abandonner). Dans le même esprit (et également de l’OCAD), la photo d’un bâtiment patrimonial juché sur une structure ultramoderne, et devant la photo une colonne de bois modifiée en levier, composition intitulée Institutional Stabilizer par Rouzbeh Akhbari, transporte sa dose d’esprit critique, comme ses Dociles Bodies, petits bronzes de masses informes sur pattes. Si l’originalité ne prime pas, ces propositions sont des plus efficaces. Très intéressantes aussi les sculptures en projectiles d’armes à feu couverts de résine et d’argile d’Adrian Gollner créant des masses indistinctes qui pourraient évoquer la chair traversée par les balles, tout en faisant place à l’abstraction. Celle-ci est plutôt rare dans l’ensemble de l’exposition, s’articulant généralement autour d’éléments géométriques, numériques, ou structuralistes.
L’exposition Peinture fraîche et nouvelle construction est dominée par la saturation d’un réalisme qui teinte toutes les productions de l’imaginaire, en adéquation avec notre époque qui laisse peu de place au mystère. Or, le réel y est sectionné, découpé, déconstruit même : peut-être est-ce pour les jeunes artistes le meilleur moyen de refaire le monde, non pas en l’inventant, mais en effectuant un déplacement, ou plutôt plusieurs déplacements, foisonnant de possibilités.
Peinture fraîche et nouvelle construction – 12e édition
Art Mûr, Montréal
Du 16 juillet au 28 août 2016