Exposition Banlieue ! Ordre et désordre
Vous avez dit « 450»?
L’exposition estivale Banlieue ! ordre et désordre à la Maison des arts de Laval avait pour sujet la ville flaque, dénomination familière de l’espace périurbain. Rangées rectilignes de pavillons banals, nœuds d’autoroutes, royaumes des centres commerciaux… Ne vous fiez pas à ces images toutes faites.
Loin de la dénonciation du cauchemar climatisé nord-américain et de l’aliénation qu’il suscite, le propos de la quinzaine d’artistes attestait que, pour eux, l’état des lieux s’ancre tout autant à leur propre expérience qu’à une forte relation affective et humaine à leur environnement. La banlieue y apparaissait comme une géographie à explorer avec humour. Cette banlieue bon enfant que décrivent ces artistes n’est pas sans rappeler certaines chansons du groupe des années 1970, Beau Dommage. Le 4-5-0 s’affiche sans honte et sans vergogne. Jasmine Colizza, la commissaire de l’exposition, a ainsi voulu évacuer tout cliché et préjugé.
Accueillant le visiteur par une pièce de 1982, Michel Saulnier affiche en contreplaqué peint son interprétation de l’alignement des pavillons de banlieue. Introduite par Saulnier, une forme de ludisme tonique contamine l’exposition. Elle se fait corrosive chez Pierre Laroche qui brosse en peinture, sous le titre La belle époque, des maisons québécoises traditionnelles. Comme échappées d’une vue hivernale de Krieghoff qu’elles s’approprient, elles sont ici rangées au cordeau et toutes flanquées d’un abri Tempo si caractéristique de la banlieue québécoise. Tout pittoresque est exclu, comme sont absentes les traces d’un passé d’avant l’automobile. Vouées à la voiture, les avenues vides et bien parallèles se font no man’s land. Seul le pseudo souk des vide-greniers et des ventes de garage récréé dans Vider le nid par Labspace Studio leur redonne une humanité.
Alors que le moindre centimètre carré du globe terrestre n’échappe pas aux relevés informatiques, à l’image satellitaire ou aux sondages en tous genres, des artistes explorateurs, archéologues à leur façon, tels Hillerbrand+Magsamen, se lancent en famille dans l’investigation de l’archiconnu. Une vidéo les montre creusant dans les murs et les portes d’un pavillon des années 1970. Ils y jouent les taupes et les passe-murailles entre les cloisons de Placoplatre.
Ce qui ne figure nulle part mérite à leurs yeux d’être arpenté. La mondialisation et les médias informatiques ont beau abolir les distances entre les continents, un gouffre peut se creuser entre deux quartiers proches, des voisins immédiats, voire les occupants d’une même maison. Jacinthe Robillard dresse les portraits de certains Lavallois qui posent, l’hiver, sous la toile de l’abri qui protège leur voiture de la neige. Sous ce voile, et malgré l’aspect familier de la scène, ils apparaissent baignés d’une lumière froide et étrange.
Certaines œuvres pourraient emprunter une part de leur style aux simulationnistes ou aux artistes néo-géo des années 1995. Schémas et cartes s’érigeraient ainsi comme une façon pour ces artistes d’injecter dans le monde idéal de l’abstraction géométrique une manière de paysage social. Exprimant cette volonté d’ordonnancement, leurs investigations géographiques prennent la forme de cartographies subjectives chez Emmanuelle Jacques ou OBV. Stéphanie Beaulieu recourt elle aussi à des outils topographiques nouveaux. Elle assemble « au carré » différents cubes. Des échantillons d’herbes et de graminées y sont juxtaposés, sous le prétexte de mieux comparer les prélèvements voisins de « gazon maudit ». Tandis que la sempiternelle pelouse si typique de l’image de la banlieue est l’objet de cet examen ironique, ces espaces somme toute similaires sont passés au crible d’une forme de « démontage ».
Au souci d’ordre s’oppose une propension au désordre, si proche d’une urbanisation galopante qui repousse villages, campagnes et zones rurales pour les transformer en territoires urbains. Les tracés traditionnels se retrouvent débordés à cause d’une prolifération incontrôlée de constructions. La grille et ses balises sont impuissantes à canaliser ruptures et transitions brutales.
Les clôtures grillagées métalliques explosent chez Andrée-Anne Carrier quand ce n’est pas, en un choc panique, l’habitat et tout son contenu chez Gwenaël Bélanger. Quelque chose d’irrépressible, comme l’indiquent les pissenlits d’Éric Lamontagne, surgit. Représenté en peinture et de manière trash, l’adolescent boutonneux promène avec sa planche de surf ses hormones et sa testostérone nouvellement sécrétées ; transporte aussi sa révolte face au monde trop lisse à ses yeux de la cité dortoir. Mais qui dit dodo parle aussi des rêves de l’enfance avec lesquels l’ado tente de prendre ses distances. Anna Jane McIntyre, avec sa maison de poupée, se rattache à l’univers du conte, à une forme de refuge devant les réalités d’un milieu banlieusard plus ouvert aujourd’hui, autrefois homogène et moins enclin à reconnaître les différences culturelles.
La banlieue, on le voit, c’est aussi mille récits de vie et autant de mythes à prendre comme cibles pour s’en moquer allégrement. Tout comme l’exposition, l’intéressant catalogue qui l’accompagne fait aussi une large place aux fantaisies ironiques et tendres d’une dizaine de poètes et d’écrivains invités par Catherine Cormier-Larose.