Beautés tragiques: Art Souterrain
L’art doit-il séduire ? Telle était la question vieille comme l’art, vieille comme le plus vieux métier du monde qui servait à la fois de thème, de fil conducteur et de sujet de discussion de la 8e édition de l’événement Art souterrain.
Séduction ? Assurément avec sa vidéo Le baiser, c’est Josiane Roberge qui remporterait le grand prix s’il y en avait un à gagner. L’artiste offre d’échanger un baiser – un vrai, sur la bouche – au tout-venant. Il faut dire que l’artiste est jolie et séduisante. Assise sur un tabouret, il faut la voir laisser doucement s’approcher un volontaire – femme ou homme – d’abord incrédule et un peu intimidé. Elle sait apprivoiser son partenaire occasionnel d’un sourire et d’un regard engageant. Le scénario est à peu près toujours le même, mais toujours différent : le sujet succombe et le duo s’achève par un merveilleux et tendre baiser sur les lèvres.
Séduction ? Les paysages photographiés de Zhang Kechun marqués par la présence des machines, des constructions standardisées, et aménagés selon l’esprit propre à la modernité industrielle chinoise, sont empreints d’une irrépressible beauté : une beauté tragique ! Les grands formats de la suite Yellow River expriment avec une sorte de force sereine le paradoxe d’une situation oppressante : brouillards de la pollution qui estompent autant les montagnes que les bâtiments, machines qui défigurent des vues qui, sans elles, seraient sublimes. Ils attirent et séduisent le regard par leur composition et leur lumière diaphane.
Séduction ? Voici deux rangées de bustes. Ils sont l’œuvre de Bevan Ramsay, jeune sculpteur formé à l’Université Concordia. À leur port altier et fier, on dirait des statues d’aristocrates de la Renaissance italienne tirés de quelque Galerie des Offices (Florence). Eh bien non. Il s’agit de moulages de sans-abri. L’artiste les a magnifiés. Il leur a donné la noblesse qui sommeille en tout être humain.
Séduction ? À l’ère du tout numérique, les classeurs métalliques, naguère indispensables meubles de bureau, sont désormais désuets et encombrants. Les voici bons pour le recyclage sous forme… d’œuvres d’art. Non sans humour, le sculpteur Jean Brillant en a rouillé et perforé une bonne vingtaine et les a empilés pour ériger une installation qui se pare du charme des vestiges. Séduisant détournement.
Séduction ? Elles sont nombreuses, cette année, les œuvres puissantes et imaginatives qui ponctuent magnifiquement et intelligemment les circuits du festival Art souterrain.
L’art doit-il séduire ? Question usée. Fausse question. Est-ce bien à l’art de séduire ? Ce rôle n’est il pas plutôt celui des artistes ? Ou, davantage encore, celui des galeristes, des commissaires d’exposition, des conservateurs de musée ? Et puis séduire qui ? Et comment ? Et pourquoi ? Que de questions suscite cette question faussement innocente, voire banale !
Festival d’art contemporain, Art souterrain est ouvert à tous les genres : arts performatifs, vidéographies, photographies, peintures, sculptures, impressions numériques. Il tire son pouvoir d’attraction de son hétérogénéité. Mais aussi de la pertinence dont font preuve les artistes tenus de traiter le sujet/thème choisi. Heureuse surprise, la plupart des 63 réalisations signées par les 86 artistes enrôlés dans l’aventure 2016 d’Art souterrain témoignaient peu ou prou de l’intention de séduire celles et ceux dont elles espéraient attirer l’attention. En tout cas, leur ingéniosité, leur inventivité, leur perfection technique recélaient assez de charme pour conduire le marcheur jusqu’au bout du fer à cheval de sept kilomètres que représente l’itinéraire du Montréal souterrain qui va de la Place des Arts au Complexe Les Ailes, en passant notamment sous les édifices du Complexe Guy-Favreau, de la Bourse, de la Place Bonaventure et de la Place Ville-Marie.
Une fois encore, le principal artisan du succès de l’événement est Frédéric Loury, son directeur. Il a eu la bonne idée, cette année, de s’entourer des excellentes commissaires Marie-Josée Rousseau et Anaïs Castro. De plus, il a enrichi l’édition 2016 d’un parcours satellite constitué de dix lieux culturels (essentiellement des galeries d’art) qui se sont associés au festival. Pour la première fois, des œuvres provenant des collections de Loto-Québec et de la Banque d’art du Conseil des Arts du Canada ont été intégrées à l’ensemble. Elles ont contribué à donner à l’exposition une profondeur historique tout à fait judicieuse grâce à une sélection de pièces dont le pouvoir de séduction est reconnu.
L’une des faiblesses, et non la moindre, d’Art souterrain tient à sa signalisation souvent déficiente, voire déroutante. Il serait avantageux d’améliorer le système de flèches indicatrices en recourant aux services de professeurs et d’étudiants des écoles de design des universités (UQAM et Concordia), partenaires de l’événement.
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ART SOUTERRAIN 2016, 8e Édition
L’ART DOIT-IL SÉDUIRE ? Du 27 février au 20 mars 2016
ARTISTES : Bevan Ramsay, Collectif Pierre & Marie, Johann Baron Lanteigne, Zeke Moores, Martin Usborne, Synchrodogs, Alain Pratte, Guy Lavigueur, Josiane Roberge, Nicolas Baier, Éliane Excoffier, Jérôme Fortin, Guillaume Lachapelle, Nadia Myre, Guy Laramée, James Kerr, Cynthia Dinan-Mitchell, Nathalie Quagliotto, Jimmy Limit, Chun Hua & Catherine Dong, Raheleh Saneie – Rah, Sarah Garzoni, Cooke-Sasseville, Maya Ersan & Jaimie Robson, Karine Savard, Hugues Clément, Jean-François Bouchard, Luke Dubois, SubZeroArts, Christos Pantieras, Renato Garza Cervera, Ambroise Tézenas, Fred Laforge, Bonnie Baxter, Laurent da Sylva, Holly King, Annika Steimle & Rihab, Takeshi Murata, Mark Jenkins, Mathieu Latulippe, Allison Schulnik, Mathieu Bernard-Reymond, Audiotopie, Jonathan Lemieux, Susan Rowe Harrison, Jonathan Schipper, Erika DeFreitas, Zhang Kechun, Doyon-Rivest, Jesper Just, Oli Sorenson, Pierre Chaumont, Michel de Broin, Allison Moore, Julie Lequin et Dina Goldstein.
Banque d’art du Conseil des Arts du Canada
Claude Tousignant, Gwenaël Bélanger, Jacques Hurtubise, Louis Archambault, Ulysse Comtois, Alain Paiement, Denis Juneau, James Carl et Shié Kasai.
Collection Loto-Québec
Nicolas Baier, Éliane Excoffier, Jérôme Fortin, Guillaume Lachapelle, Nadia Myre et Guy Laramée.