Biennale d’art contemporain autochtone : Land Back

Il est de ces espaces de l’art qui génèrent autant d’inconfort que de volonté de réparation, de silence que de dialogue, de retours vers le passé que de projections vers le futur. Commissariée par Michael Patten, la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) est l’un de ces espaces qu’il est tout autant difficile que nécessaire d’arpenter, de fouiller, d’expérimenter. Sous la thématique de Land Back, cette sixième édition aborde le lien à la terre, à son histoire et à ses communautés.
Alors que nous peinons à sortir de la COVID-19, Land Back traite d’un enjeu on ne peut plus brûlant, qui semble justement avoir été partiellement éclipsé ces deux dernières années pour cause de pandémie : la crise climatique. La déconnexion de plusieurs sociétés urbaines contemporaines de l’environnement et de la nature est ainsi ramenée au premier plan. Comment peut-on survivre sans cette terre qui porte notre poids, sans l’eau qui nous abreuve, sans les plantes qui nous guérissent et nous nourrissent ? Plus de 50 artistes de Land Back dont les œuvres sont déployées en 8 lieux mettent ainsi en lumière la nécessité de protéger, de préserver et d’honorer la terre, tant pour la survie matérielle que spirituelle, individuelle que collective. Quelques artistes choisissent le sentier de la résistance et de l’activisme, comme en témoigne la série de photographies de Camille Seaman sur les manifestations de la réserve Standing Rock dans le Dakota du Nord en 2016. D’autres, comme Meagan Musseau, retournent littéralement à la terre : dans sa performance becomes body of water interwoven with territories beyond the sky (2019), Musseau tresse de longs rubans accrochés à un système racinaire en luttant contre le vent. Qu’il s’agisse d’une approche revendicatrice ou davantage symbolique, ces gestes artistiques ancrent la connexion qu’ont les peuples autochtones avec la terre et la nécessité de repenser la relation des humains avec elle.

La mémoire est porteuse de cicatrices que le temps ne saura jamais effacer. Des blessures qui marquent les territoires, comme l’illustre la série de photographies Altered Landscapes (2021) de Michael Namingha, compositions géométriques quasi sublimes qui, au-delà de leurs couleurs vaporeuses et de leur atmosphère onirique, traitent de l’impact environnemental de l’industrie pétrolière sur la région des Four Corners aux États-Unis. Ces blessures de la terre se transposent aussi aux corps, ce que laisse transparaître la série de photos de Barry Pottle sur d’anciennes « Étiquettes d’Identification Esquimaude » issues d’un programme du gouvernement canadien dans les années 1940 pour « simplifier » la nomination des Inuit. La question identitaire étant intimement liée au territoire, cette série met en évidence les ravages de la colonisation sur les langues, les cultures et les identités autochtones. Ainsi, dans sa vidéo The Last American Indian on Earth (2016), Gregg Deal, par le truchement de l’humour et de l’ironie, met en doute les stéréotypes associés aux Autochtones en interviewant des personnes américaines moyennes. Les commentaires et réactions recueillis par l’artiste, qui les commente en tant que narrateur, font grincer des dents tant ils sont empreints d’ignorance et de racisme : et pourtant, 2016, ce n’est pas si loin de nous. Rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps, nous apprenions aussi sur les bancs d’école du Québec qu’il y avait les « bons » Algonquins et les « méchants » Iroquois à l’époque de la Nouvelle-France. Je frissonne encore de ces enseignements reçus au primaire et au secondaire, bien avant que le concept de décolonisation ne fasse son apparition dans le discours public.
Au-delà de l’extraction des ressources naturelles, de la destruction des territoires et de la crise climatique, Land Back met en lumière les connexions entre la terre et les cultures autochtones, traitant ainsi de l’identité, des langues et de la contemporanéité des différentes communautés. Se trouvent ainsi déconstruites les polarités entre nature et culture, passé et futur, artisanat et technologie. Plusieurs œuvres de la BACA réconcilient ces polarités en proposant des perspectives plus actuelles et justes sur la réalité autochtone contemporaine. Dans l’exposition satellite Önenha’; Wen’wa’ / [Superimpositions], l’artiste wendat Alexis Gros-Louis et le commissaire atikamekw Terry Randy Awashish ont conjugué leur langue et leur culture respectives, suggérant ainsi une réflexion plutôt abstraite sur le territoire et son histoire. Les outils et les références à l’archéologie matérialisent ce retour au territoire ancestral que plusieurs effectuent afin de retrouver, de sonder et de solidifier leurs racines. Une quête, à la fois individuelle et collective, que réitère le titre de cette sixième édition. Car il ne s’agit pas uniquement d’un retour, mais d’une réclamation de territoires qui ont été colonisés, harnachés, rasés. Ainsi, les œuvres de Land Back rendent non seulement honneur à la nature, mais surtout rappellent la nécessité de la respecter, de la protéger et d’en prendre soin.

Cette notion de care se trouve en filigrane de Land Back – prendre soin : de la nature, de l’histoire et de ses communautés. Une posture de solidarité et de revendication qui contraste avec l’individualisme propre au capitalisme, même si cela implique de revisiter des périodes sombres de l’histoire comme l’interdiction de la cérémonie du potlatch par le gouvernement canadien de 1884 à 1951. Certaines œuvres de la côte nord-ouest présentées à La Guilde revisitent cet épisode, notamment Beaver in a Hudson’s Bay Bag (2019) de Cole Speck, où une petite sculpture en bois évoquant les animaux sur les totems, enveloppée dans une couverture de la Compagnie de la Baie d’Hudson, est placée dans un sac dudit magasin. Par le biais de ces icônes de la société de consommation, cette œuvre satirique met en scène la dépossession des objets sacrés qu’ont subie les communautés autochtones côtières : confisqués puis achetés pour intégrer des collections privées ou publiques, ces objets sont devenus marchandises. L’œuvre de Speck rappelle également que hors contexte, des objets comme ceux qui étaient échangés durant les cérémonies du potlatch perdent leur sens. La question de l’identité liée au territoire, fil conducteur de cette sixième édition de la BACA, se trouve ici réitérée : une généalogie marquée par les traumas de la colonisation, qui nécessitera des générations avant d’être réparée.
Et s’il est un geste de résistance que Land Back a su mettre en lumière, c’est celui de prendre le temps : d’écouter, de danser, de perler, de tisser, de laisser pousser. Car malgré l’urgence climatique, la reconnexion avec le territoire ne saura se faire autrement.
(Événement)
LAND BACK
COMMISSAIRE : MICHAEL PATTEN
BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN AUTOCHTONE (BACA)
6E ÉDITION
DU 28 AVRIL AU 23 DÉCEMBRE 2022