Biennale de céramique Virginia McClure. La céramique d’art contemporaine : le contre-pied des idées reçues
À l’instar du caméléon, l’exposition éponyme révèle sa nature adaptative ; la prima materia déroge aux codes usuels et aux cadres restrictifs, au demeurant purement subjectifs, à l’intérieur desquels on tend à la confiner encore.
Première de cinq biennales prévues de 2014 à 20221, l’exposition Caméléon inaugurait la Biennale de céramique Virginia McClure. Réalisée par le commissaire montréalais invité Jean-Pierre Laroque, l’un des plus grands céramistes canadiens, Caméléon regroupait les œuvres récentes de quatre céramistes multidisciplinaires reconnus et compensait largement en audace et en qualité le nombre d’œuvres relativement modeste – 15 au total – compte tenu de l’espace physique dont dispose la galerie.
Cela dit, la démonstration de l’argile en tant que médium contemporain est faite. Brute et d’une étonnante porosité à son environnement, l’argile n’est pas figée et se prête, avec Caméléon, à des expérimentations formelles risquées. L’adaptabilité de l’argile en combinaison avec d’autres matériaux et sa capacité de renouvellement sont exploitées de façon systématique. Selon la vision propre à chacun des artistes, certes, mais tous tendent à « articuler un langage céramique qui s’amuse à bousculer l’ordre établi », pour reprendre les termes de Jean-Pierre Larocque et de Victoria LeBlanc, qui signent les textes du catalogue de l’exposition.
Point d’effondrement
Diverses techniques de fabrication sont explorées. Linda Sormin construit son œuvre à la cuisson et la complète sur le lieu même d’exposition. Pour Meranteau, les pâtons d’argile sont triturés, imparfaitement façonnés et assemblés dans le four, comme dans l’urgence. Une fois cuits et couverts de glaçure, ils sont fixés à d’autres parties de l’œuvre bourgeonnante sur lesquelles sont posés des objets disparates au moyen de mottes d’argile humide grossièrement appliquées, tel un tourbillon d’entrelacs compliqués, emportant nature, histoire et tradition. Miroir d’instabilité, l’œuvre oscille entre brutalité et préciosité, réflexion et spontanéité. Notons que le terme « meranteau » fait référence, dans la langue du pays d’origine de Linda Sormin, aux jeunes qui quittent leur ville pour s’installer ailleurs… L’œuvre met en abyme l’art et la trame de la vie quotidienne, à l’instar d’un ready-made de Duchamp.
La notion d’urgence chez Linda Sormin se retrouve également dans l’œuvre de Rory MacDonald. Le four nomade qu’il a fabriqué et qu’il emporte avec lui lors de ses interventions en milieu urbain l’affranchit de la production en atelier. Cet aspect de « contrôle » sur l’œuvre et ce qui l’entoure est prépondérant dans son travail. Son installation Bortle se dilate dans l’espace, au-delà du temps, opposant l’éphémère à la pérennité du matériau. Entre les mains de l’artiste, la craie sert de contre-pied aux conventions muséologiques… Toucher, effleurer l’œuvre, la modifier au risque de l’anéantir participe à ce processus de création et de maîtrise de l’aspect temporel de la céramique.
Les objets sculpturaux de Susan Collett opposent des concepts de densité et de légèreté. Sortes de concrétions métamorphiques, ils expriment la tension entre la force structurelle et la fragilité du matériau que l’on « affaiblit » en le rendant perméable à la lumière. Les plaques de faïence-papier qui forment les pièces sont composées d’un mélange de grès, de cellulose et d’eau. Lorsque le papier brûle, le grès garde la forme ; l’œuvre est cependant plus près de l’effondrement, surtout celle de grand format comme Skin (Labyrinth Series). L’artiste continue son expérience de l’aléatoire avec Collected – Embossed Paper, où elle injecte de l’argile liquide sur une surface de plâtre. Le dessin formé est ensuite arraché au moment où l’argile commence à sécher. Déracinée, la mémoire disparaît, pour se réinventer en d’autres formes. Or, des fragments mémoriels persistent parfois.
Les traces d’histoire interpellent Neil Forrest qui questionne le lien ancien entre la céramique et l’architecture. Son installation Transits explore la fonction plus ornementale de la céramique, dont on ne trouve plus trace dans l’architecture moderne ou contemporaine. Au départ, il y a le joint et le support, des éléments « sacrés » de l’ingénierie architecturale. Pour Transits, il s’agit de tiges de carbure de silicium glissées à l’intérieur des pièces pour maintenir ensemble les tuiles de céramique recouvertes d’épaisses couches de glaçure. Ces représentations architecturales sont des reconstitutions de bâtiments historiques norvégiens en bois, notamment le bateau de guerre The Northern Star et l’église Bygdoy. Les ombres projetées au mur des architectures-objets et leur support de plexiglas révèlent d’autant ces imperceptibles empreintes mémorielles.
De l’inertie au mouvement, de la fonction pratique à la poésie et à l’anti-monument, la céramique nourrit une méditation active qui agit sur la forme originelle et l’impermanence des choses.
(1) Contrairement à ce que nous avions indiqué dans l’article paru dans le numéro précédent, le Conseil des arts et des lettres du Québec n’a attribué, pour l’instant, une subvention que pour la première biennale.
CAMÉLÉON Biennale de céramique Virginia McClure
Commissaire : Jean-Pierre Larocque
Galerie McClure, Montréal
Du 3 au 25 octobre 2014