Avec son œuvre intitulée XXe siècle, Bill Vazan offre une réflexion poétique sur l’expérience de la temporalité à l’échelle d’un siècle. Composée de dix toiles, elle forme une fresque multicolore. Chacun des tableaux porte les marques d’un tampon encreur avec lequel l’artiste a inscrit une à une les dates de chaque décennie. Le spectateur est alors invité à embrasser du regard cent ans chargés d’histoire, à la fois collective et individuelle.

La réalisation de l’œuvre XXe siècle a exigé deux années de travail au cours desquelles l’artiste a inscrit, avec une patience obsessionnelle, les dates allant du 1er janvier 1900 au 31 décembre 1999. Bill Vazan a troqué son pinceau pour un tampon encreur et s’est soumis à un travail mécanique et protocolaire. Son geste, qui relève de la performance, imite davantage celui du bureaucrate que celui de l’artiste. Quant à l’outil, il fait référence à la tentative humaine non seulement de mesurer le temps, mais encore de le maîtriser en l’archivant. Ce rapport administratif à la temporalité se lit dans l’aspect organisé et fragmentaire de l’œuvre. En effet, les dates sont juxtaposées sous forme de colonnes, et l’artiste a choisi de sectionner la surface en dix toiles autonomes. Chacune d’elles forme une unité de mesure, une construction temporelle réitérée de façon sérielle. Enivrante, la composition de l’œuvre reflète dès lors un cours semblable à celui de nos vies quotidiennes qui s’enchaînent irrémédiablement et recommencent chaque jour.

L’inscription des dates est peu lisible ; elles se confondent dans la toile, à l’image des incertitudes de nos mémoires. Les quelques coulures participent en outre à l’intention de renforcer l’idée de fuite du temps, à laquelle fait contrepoids l’idée de contrôle défendue par l’artiste. L’œuvre échappe à toute détermination préétablie grâce à ses couleurs. Celles-ci ne répondent à aucune logique et semblent le fruit du hasard. Chaque tableau s’impose selon une valeur chromatique différente et aléatoire. Par exemple, l’orange corail de la troisième toile tranche avec les tons plus sobres de celles qui l’entourent. Certes, les couleurs portent en elles une charge émotive, elles établissent ainsi un rapport à la réalité très matériel, mais notoi­rement différent de la figuration. L’artiste se dégage, de cette manière, d’un mode de traitement systématique. Les couleurs agissent telles des métaphores, rythmant l’ensemble de l’instal­lation et offrant une expérience contemplative qui transcende celle de la temporalité. Les couleurs tirent leur effet de l’espace qui sépare chaque toile, imposant un silence, un temps d’arrêt dans l’énumération étouffante des dates. La réflexion que suscite l’œuvre XXe siècle porte dès lors, non pas sur le caractère historique de l’écoulement du temps, mais plutôt sur sa valeur esthétique. En renouvelant la tradition picturale de la fresque historique, Bill Vazan rétablit un lien entre l’écoulement angoissant des jours et la poésie.

BILL VAZAN XXe SIÈCLE
Musée national des beaux-arts du Québec
Du 7 novembre 2013 au 4 mai 2014