Les œuvres picturales de Bill Vincent offrent un dialogue systématique entre réalisme et inachèvement. Avec les formes minutieusement travaillées cohabitent celles délibérément détériorées ou recouvertes. Chacune d’elles apparaît sur différentes couches superposées et sur des matériaux divers.

De la peinture, de la cire, des végétaux, du goudron, de l’acier, du papier…, l’artiste joue des textures ou des transparences. Pour cela, il met en valeur les caractéristiques des matériaux rassemblés. À cet égard, la peinture s’accompagne souvent de coulures, les écritures sont à peine lisibles et servent davantage d’éléments graphiques, le contour des feuilles d’argent est apparent tandis que le support en bois des tableaux est lui-même taillé. Ainsi, Bill Vincent rend visible son exploration de la matière. Il met de l’avant les propriétés de chaque matériau et les superpose, afin de mettre en concurrence plusieurs espaces : du plus circonscrit au plus évanescent, du plus tangible au plus abstrait. La lecture unidirectionnelle de ses œuvres est ainsi annulée. L’artiste semble vouloir abandonner la représentation réaliste au profit d’un mystère sous-jacent ; se départir de ce qui est matériel pour donner à voir ce qui se trouve derrière les multiples épaisseurs.

Les œuvres de Bill Vincent traitent de ce qui est organique. Corbeilles de fruits pourris, animaux dépecés, végétaux, organes vitaux sont ses sujets de prédilection. Ils évoquent la dégénérescence et ce qui n’est plus. C’est le cas de sa récente série de tableaux où l’objet central est une souche de bois brûlé. L’intervention de l’artiste consiste alors à redonner une forme de vie à ces sujets. C’est pourquoi il utilise des couleurs vives, des néons, des objets du quotidien comme des morceaux de papier, ou encore une gestualité spontanée pour renouer avec le vivant. La matière semble renaître de ses cendres. Cette notion de renaissance est au cœur de la démarche de l’artiste. Elle apparaît à travers l’image de ramifications qui surgissent de plus en plus dans les œuvres de Bill Vincent au point d’en devenir le sujet principal. Sous forme de racines, de nervures, de vaisseaux sanguins, ou de mots dont les possibi­lités d’associations sont infinies, ces ramifi­cations prolifèrent de façon exponentielle, sans limites. Elles emportent ainsi l’idée de ce qui est éternel. En deçà de la matière, sous la terre ou sous la chair, elles symbolisent aussi ce qui est caché, invisible. Elles sont en ce point un élément clé du travail de l’artiste qui tente de montrer ce qui échappe à nos sens.

La métamorphose qu’opère Bill Vincent dans son travail, le passage du visible vers le non- visible, ne s’accomplit pas sans une forme de violence. Son œuvre entière porte en effet les stigmates de sévices à la fois dans le sujet et dans son traitement. L’atteste avec éloquence la série Castel Caro, où les larges coups de pinceau noirs sur les images de bêtes écorchées simulent un acte de brutalité. De la même manière, dans le tableau Sciatica, le rouge sanguinaire apposé avec une gestuelle vive sur les figures arborescentes évoque l’image d’une cicatrice. Le support de ses tableaux, en bois, semble lui aussi attaqué par la main de l’artiste : brûlé par des acides, taillé à la scie mécanique ou gravé à la gouge, à la manière d’incisions. Son œuvre Wenn du nicht erst Asche! (« …être d’abord réduit en cendres ! ») présente ainsi une souche d’arbre brûlé, aux formes sinueuses et contorsionnées, amputé et couronné d’épines. Se dégage alors, du travail de Bill Vincent, une sorte de monstruosité. La matière, corrompue et lacérée, semble s’exposer aux regards, tel un objet immolé.

Un coup d’œil rétrospectif sur la carrière de l’artiste éclaire cette démarche où la matière doit être d’abord altérée et subir une forme de destruction1. Bill Vincent a commencé sa vie d’artiste, non comme peintre, mais comme graveur. Or, la matrice qui précède l’impression est entaillée, puis abandonnée au profit de l’image finale. Ce processus, comparable au sacrifice, se pérenniserait dans le travail actuel de l’artiste. Avec lui, le sujet et la forme sont soumis à un certain abandon d’où surgit le sens. Toutefois, à travers cette représentation du martyre qu’offrent les créations de Bill Vincent, persiste une beauté magistrale. En apposant ce sacrifice sur la matière, l’artiste suscite un effet de sacralisation. Objets d’immolations, ses œuvres indiquent ainsi la forme immatérielle vers laquelle elles aspirent. 

BILL VINCENT ENRACINEMENTS/GROUNDINGS 
Rétrospective 1972-2014
Commissaires : Nicole Allard et Danièle Lessard
Maison Hamel-Bruneau 2608, chemin Saint-Louis Québec
Du 17 septembre au 14 décembre 2014