Mise en ligne le 1er octobre dernier sur le site Web du Centre d’exposition de l’Université de Montréal, l’exposition virtuelle Cadrer la nature rassemble le travail de huit femmes artistes sous le commissariat de Catherine Barnabé.

Cette première journée d’octobre 2020 coïncidait hélas (ou heureusement) avec le début d’un reconfinement partiel au Québec causé par la deuxième vague de la COVID-19… Pendant que j’étais cloîtrée dans mon appartement, Cadrer la nature m’a permis de m’évader dans des paysages photographiés, sonores, filmés et peints, et de témoigner des dialogues sensibles entre la commissaire, les artistes invitées Janick Burn, Hannah Claus, Ariane Plante et Ingrid Tremblay, ainsi que les œuvres de Maude Connolly, Jennifer Dickson, Jeanne Rhéaume et Andrée S. de Groot provenant de la Collection de l’UdeM.1

Cadrer la nature s’ancre dans un contexte particulier de création en extérieur, de diffusion virtuelle et de mise en valeur des pièces d’une collection qui en compte plus de huit cents. Avec ces contraintes comme point de départ, Catherine Barnabé, qui s’intéresse depuis plusieurs années à l’espace et à la géographie, a invité quatre artistes à réaliser une œuvre in situ au Belvédère Outremont. Chacune d’entre elles a également été jumelée par la commissaire aux représentations paysagères d’artistes méconnues de l’histoire de l’art québécois récente. Attentives aux environnements qui les entourent dans leur pratique respective, Janick Burn, Hannah Claus, Ariane Plante et Ingrid Tremblay ont parcouru ce flanc moins fréquenté du mont Royal, situé derrière l’Université de Montréal, afin d’explorer son potentiel narratif. Une multiplicité de récits a émané de ces déambulations, nous menant à (re)découvrir un lieu emblématique montréalais et des artistes dont le travail mérite d’être parcouru.

Janick Burn, Solaires (2020)
Arrêt sur image. Courtoisie de l’artiste

« Le paysage, c’est habiter le monde et être habité par lui (2). »

Répartie sur une dizaine de pages Web que l’on défile une à une, l’exposition virtuelle débute par des citations de théoriciens (Anne Cauquelin, Jean-Marc Besse, Georges Perec) sur la notion de paysage. Chaque extrait s’entremêle avec les mots impressionnistes de
Catherine Barnabé réfléchissant à l’espace en tant que lieu activé par la présence. Intéressée par les relations entre les individus et leur environnement, la commissaire a conçu Cadrer la nature autour d’une « pratique de l’espace » ; un espace qui n’est jamais neutre, le rappelle-t-elle, autant d’un point de vue artistique, historique que philosophique.

Solaires (2020) de Janick Burn, constituée d’une vidéo et d’une solargraphie3, de même que l’aquarelle Sans Titre 01 (2010) de Maude Connolly sont les premières œuvres jumelées de la visite à capter mon regard, dans lesquelles on reconnaît d’ailleurs une ligne d’horizon similaire. Avec sa vidéo, Burn, qui porte une attention récurrente au corps et au cadre de la performance et de l’image, propose un plan fixe de la cime du mont Royal en noir et blanc rythmé par le son de sa respiration et de ses pas. Au moment où on l’entend s’immobiliser, un reflet apparaît dans la montagne. Le corps de l’artiste, qui n’est pas donné à voir, devient ici visible par ses actions : cadrer l’image, respirer, marcher, refléter la lumière, performer ; « Il fait présence par son absence4. » Le corps habite autrement l’espace dans le paysage schématique de Connolly, qui met en scène un personnage en action dans un cadre naturel rocailleux. On peut supposer qu’il s’agit d’un environnement inspiré de la forêt du Pekuakami (Lac-Saint-Jean), où elle réside. Membre de la communauté Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh, l’artiste pratique la technique du perlage, la sculpture et la peinture pour représenter des éléments inspirés de contes et de légendes innues. Bien qu’important, son travail multidisciplinaire reste à ce jour peu documenté. Cette visibilité inégale entre certaines artistes a, entre autres, incité la commissaire à privilégier une approche sensible afin de faire dialoguer les œuvres.

Maude Connolly, Sans titre 01 (2010)
Aquarelle sur papier, 21,50 x 28 cm
Don d’Alliance de recherche universités-communautés (ARUC)
Tshiue-Natuapahtetau-Kigibiwewidon © Maude Connolly, 2020.
Collection d’œuvres d’art de l’Université de Montréal

« Habiter le monde, c’est être en relation (5). »

Cadrer la nature est une exposition que j’aurais aimé visiter en salle pour pouvoir, à mon tour, habiter l’espace. Pour admirer de tout mon corps la vidéo iakoròn:ien’s [the sky falls around her] (2020) d’Hannah Claus qui consiste en un plan fixe du ciel capté à travers des branches d’arbres. Lentement, des morceaux de ciel tombent et laissent place à des espaces négatifs. Membre de la communauté Kanien’kehá:ka de Tyendinaga – Mohawks de la Baie de Quinte –, l’artiste poursuit une pratique transdisciplinaire où elle examine notre lien à la mémoire, l’espace et le temps. Associé à la création dans la culture mohawk, le ciel occupe une place importante dans le travail de Claus qui s’est inspirée de l’histoire personnelle d’Andrée S. de Groot, avec qui elle a été jumelée, pour élaborer son œuvre. Lors d’une discussion avec la petite-fille de la peintre, elle aussi artiste, Raphaëlle de Groot l’informe que c’est sa grand-mère qui lui a appris à dessiner, à tracer les contours, les vides… Un élément qu’elle a toujours aimé dans les œuvres de son aïeule. D’origine française et polonaise, la peintre a émigré en Amérique en 1940 avec sa famille pour fuir la Deuxième Guerre mondiale. Formée à l’Académie de Montpellier, elle a développé une pratique picturale autour des corps en mouvement (danseurs, musiciens) et des paysages notamment. L’aquarelle Mont Saint-Pierre (1972), réalisée à la suite d’un voyage en Gaspésie et présentée dans le cadre de cette exposition, fait partie de la Collection d’œuvres d’art de l’UdeM.

La visite de Cadrer la nature est devenue bien réelle quand j’ai exploré le Belvédère Outremont lors d’une journée d’automne ensoleillée, dans une tentative de repérer les lieux où Janick Burn, Hannah Claus, Ariane Plante et Ingrid Tremblay ont circulé, pour finalement constater qu’au sommet du mont, c’est Montréal qui est (en)cadrée par la nature… En privilégiant une réflexion poétique autour de l’espace habité, l’exposition propose des dialogues continus et féconds entre les œuvres, les artistes, la commissaire et le discours, qui se poursuivront, je l’espère, dans une mouture au-delà du virtuel.

Andrée S. de Groot, Mont Saint-Pierre (1972)
Aquarelle sur carton, 56,4 x 71,7 cm
Photo : Patrick Mailloux (2020) © Succession de l’artiste, 2020
Collection d’œuvres d’art de l’Université de Montréal

(1) J’aimerais remercier Catherine Barnabé, Janick Burn et Hannah Claus pour leur collaboration lors de la rédaction de cet article.

(2) Jean-Marc Besse, 2018. La nécessité du paysage, Éditions parenthèses : Marseille, p. 50.

(3) La solargraphie consiste en la prise de photographies sans appareil à l’aide d’un sténopé. Une exposition de plusieurs jours à l’extérieur permet de capturer les passages du soleil et de la lune dans le ciel.

(4) Catherine Barnabé, 2020. www.centre-expo-udem.com/cadrer-la-nature-introduction

(5) Ibid.


Cadrer la nature 
Commissaire : Catherine Barnabé
Exposition virtuelle, Centre d’exposition de l’Université de Montréal
Du 1er octobre 2020 au 8 avril 2021

Artistes : Janick Burn, Hannah Claus, Ariane Plante, Ingrid Tremblay, Maude Connolly, Jennifer Dickson, Jeanne Rhéaume et Andrée S. de Groot