Camille Henrot est d’abord connue pour ses vidéos et ses films d’animation. Artiste prolifique, elle s’aventure dans la composition florale, le dessin, la sculpture et la photographie avec autant de succès que dans l’image filmique. En 2010, elle se fait remarquer à titre de finaliste du prix Marcel Duchamp. Deux ans plus tard, à la Triennale du Palais de Tokyo à Paris, elle présente son installation Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ? Camille Henrot se distingue sur la scène internationale en remportant le Lion d’argent de la 55e Biennale de Venise (2013) pour sa vidéo Grosse fatigue.

Le Musée d’art contemporain de Montréal présente pour la première fois au Québec et au Canada le travail de la jeune artiste dans une version installative de sa vidéo Grosse fatigue. Une pièce peinte du sol au plafond en bleu roi joue le rôle d’espace cosmique pour l’œuvre d’une durée de 13 minutes. Projetée sur un écran de cinq mètres de long, elle est le fruit d’une résidence effectuée au Smithsonian Institute de Washington. Fascinée par les mythes, l’histoire et l’anthropologie, Camille Henrot y a amorcé une réflexion sur l’histoire de l’Univers, sur la place de l’homme dans notre société et la manière de compiler les données sur ces sujets.

Sur un rythme presque essoufflant, elle présente une succession et une juxtaposition de films et de photos constituant les mots d’une narration complexe et fascinante. Chaque fenêtre ouverte tisse la trame d’une histoire : celle de l’humanité. À l’origine, l’Univers. Comme sur un fond d’écran, une image de l’Univers apparaît : l’Univers est d’abord statique. « Au commencement » survient le souffle. Puis deux fenêtres superposées s’ouvrent sur des photos d’arts primitifs et d’hommes noirs peints en blanc. Des mains tournent les pages de cette histoire. Des tambours donnent le rythme. « In the beginning, there was no earth, no water – nothing » : la voix qui se fait entendre est celle d’Akwetey Orraca-Tetteh qui clame le magnifique poème de Jacob Bromberg. Puis tout s’enchaîne et s’accélère dans un rythme visuel soutenu par la cadence de la parole du récitant et par la subtilité de la musique (Joakim). Des centaines d’images découpent la narration en chapitres : rien – la naissance des dieux – l’émergence de la Terre – l’apparition de l’oxygène – les animaux – les êtres humains – le savoir – la solitude – la fatigue – la mort1. Mais l’artiste ne réinvestit pas les mythes qui l’inspirent : elle les met en dialogue avec des images qu’elle a puisées dans les archives du Smithsonian Institute et sur le Web. Certaines d’entre elles sont rehaussées de mains féminines. Ainsi, l’incursion métaphorique du geste de l’artiste dans la création s’offre au spectateur avec une grande finesse. La transition entre les plans juxtaposés est fluide, libre et intelligente. Elle se fait selon une logique raffinée : tantôt formelle, tantôt kinesthésique, tantôt chromatique.

Le récit est dense et captivant. Et l’on comprend mieux que le créateur, après avoir achevé son œuvre, se soit trouvé assailli d’une grosse fatigue. Et il se reposa.

Camille Henrot Grosse fatigue
Commissaire : Louise Simard
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 17 octobre 2015 au 10 janvier 2016

(1) Selon les dires de Camille Henrot  https://www.youtube.com/watch?v=mEC62Z2ar0U